Le 23 avril : Permis à points

Comme je suis distrait ! A mon dernier message, j'ai omis de vous joindre l'adresse de ma dernière chronique sur mon site Web. Mais en lecteurs avisés, vous avez pris l'habitude de le consulter librement. Depuis peu, j'ai modifié la page d'accueil : un véritable tableau de bord car les besoins évoluent. Moi qui pestais il y a quelques années contre la densité des informations des portails d'Internet, voilà le mien qui en prend le chemin. Mais comment faire pour ne pas opprimer le lecteur dès la première page tout en lui servant l'information en un minimum de clics ? Compromis difficile. Nous sommes bien loin des "7 items plus ou moins 2" par page, limite que l'on nous enseigne afin de produire une présentation de qualité permettant une bonne assimilation de la part de l'assistance. Mais le lecteur "Internet" est pris par le temps. Il n'est pas assis dans son fauteuil pour lire confortablement. Non ! Entre deux réunions, entre deux coups de fil ou deux "compiles", assis sur une fesse, la cuisse gigotante, la main fébrile agglutinée à la souris, l'oeil rivé sur l'écran, il tente d'engloutir mes dernières nouvelles en diagonale au risque de s'étrangler. Combien de jours reste-t-il avant la fin du traitement ? Encore combien de séances de chimiothérapie ? Il admire le chemin parcouru, mon état de santé au travers de mes occupations, et se dit que je tiens le bon bout. Il s'interroge sur mon prochain retour au travail, puis sur mon départ pour une nouvelle séance de traitement... Stop ! L'heure de la réunion est déjà dépassée. Le téléphone a retenti. Le résultat de la compilation vient de surgir, il est temps de reprendre les tests. Le poulet brûle dans le four de la cuisine car il y a aussi des "fans" au foyer qui me lisent entre lessives et cuisine. Ce lecteur là remet donc à plus tard sa lecture en diagonale.

De mon côté, les activités se multiplient lorsque les effets du traitement sont derrière moi. J'ai l'impression d'écrire moins sans doute parce que le temps me manque. D'après Françoise il m'en reste encore trop. Elle peste souvent : la maison peut s'écrouler lorsque j'écris. Je suis là sans l'être. Je ne m'en étais pas rendu compte jusqu'à ce que Martine, mon amie d'enfance, me réveille avec une blague sur le permis à points dont voici la teneur :

Une seule règle compte dans ce monde si romantique : rendre sa femme heureuse. Tout fonctionne selon un système à points, un peu comme le permis de conduire. Vous faites quelque chose qui lui plaît, vous gagnez des points. Vous faites quelque chose qui lui déplaît, vous perdez des points. Attention: vous ne gagnez pas de points lorsque vous faites quelque chose à quoi elle s'attendait. Par exemple : vous faites le lit (+1). Vous faites le lit mais vous oubliez de remettre les oreillers décoratifs (0). Vous tirez le couvre-lit sur les draps en bataille (-1). Ou encore, elle veut vous parler d'un problème, vous l'écoutez avec ce qui ressemble à un air intéressé et grave (0). Vous écoutez pendant plus de 30 minutes (+5). Vous écoutez pendant plus de 30 minutes sans jeter un oeil à la télévision (pour moi c'est l'ordinateur)... (+10), elle réalise que c'est parce que vous vous êtes endormi (-20). Pour terminer la question mortelle : "suis-je grosse ?" Vous hésitez avant de répondre (-10). Vous répondez "Où ?" (-35). Toute autre réponse (-20)... La suite de l'extrait pour plus de détails >>>

Cette blague est venue juste à propos. En effet car pour les 40 ans de 2 amies (Carole et une semaine plus tard Martine, une autre Martine, mon e-fanclub est nombreux), Françoise qui cherchait une robe pour l'occasion posa l'inévitable problème : "Décidément je n'ai rien à me mettre ! Ne me trouves-tu pas un peu grosse dans cette robe ?" J'ai fait diversion en lui montrant cette blague. Ouf ! Mais depuis, je me retrouve dans le rouge car je perds des points sans arrêts. Tiens par exemple : je réponds à Martine (la première) sur l'effet de sa blague, alors que je devrais finir de remonter la machine à laver et la remettre en place. Elle gisait au milieu de la laverie depuis la dernière panne en janvier dernier. J'avais changé la sonde de température pour parer au plus pressé (+5). Mais comme je voulais être sûr de l'origine du problème, je l'ai laissée avec le "ventre ouvert" au milieu de la pièce (-2). Je suis donc en train d'écrire à Martine (une fille : -5). Qui se trouve être une amie d'enfance (-10), une amoureuse de CP-CE1 (-15), qui sait danser (-25) et qui a probablement une poitrine généreuse (-35)... A persister ainsi dans le rouge, je compromets sérieusement mon contrat de mariage. Que faire pour remonter la pente ?

40 ans de Carole

Justement Eric, le mari de Carole, a trouvé une solution pour redresser sa liste de points négatifs. Samedi 29 mars, il invite sa femme à dîner à l'Ecu de Rohan, restaurant situé à Rochefort en Yvelines. Ce n'est pas un soir comme les autres, Carole a 40 ans. Il omet de lui dire qu'ils ne dîneront pas en tête-à-tête. Ce soir là, nous sommes nombreux à les attendre dans le noir. Habituellement Eric est souvent en voyage. Lorsqu'il part, la date de son retour n'est qu'approximative. Ainsi, il est parti 3 semaines au Brésil. Les 3 semaines initiales se sont transformées en 6. Les vacances de Noël ont été épargnées de justesse, si Carole, patiente jusque là, ne s'était pas montrée plus incisive qu'à l'accoutumée. Il était donc temps de redresser la barre. Eric a dû être efficace et appeler tout le monde en toute discrétion : la famille, les amis, retrouver les vieilles connaissances qui remontent à plus de 10 ans, prévoir pour les enfants… Il est 21 heures, nous attendons dans le noir. Chut ! Les voilà. La porte s'ouvre. La lumière s'allume : Joyeux anniversaire Carole ! La surprise est complète. Retrouvailles, larmes d'émotions. Nous nous retrouvons autour d'une grande table où Eric nous a préparés un discours retraçant 20 ans de vie commune, 20 ans de souvenirs entre copains. Le discours sert de présentation. Il y a de nombreux talents dans l'assistance : joyeux anniversaire à la guitare, musique classique, Flamenco, valse à 2 guitares et un accordéon, valse musette, tango… On en profite pour danser. Il n'y a pas beaucoup de place mais on fait avec. Tout y passe, Brassens, Maxime Le Forestier, une histoire de Raymond Devos, on entonne Le Sud de Nino Ferrer. Pauline nous joue de la flûte traversière. Une soirée très chaleureuse comme on aimerait qu'il en ait plus souvent. La soirée se termina au Champagne chez Carole et Eric. Nous nous sommes couchés à 5 heures du matin.

Discours d'Eric avec l'album de photos >>>

Eric, cette soirée a été, je crois, un excellent exemple pour rattraper ton retard de points ce soir là, du moins pour un temps. Joyeux Anniversaire à toi Carole !

40 ans de Martine

L'anniversaire de Martine, qui a eu lieu le week-end suivant, s'inscrit dans un registre tout à fait différent. Il n'y a pas de surprise puisque la date avait été retenue depuis le mois de décembre (en fonction de mon traitement), mais nous avons été invités à passer le week-end à proximité d'Amiens. Martine et Gilles avaient réservé une salle dans une ancienne colonie de vacances. Les 28 couchages, repartis en chambres de 3 ou 4, ont permis de loger les personnes sur place le temps des festivités. Orchestre de 7 musiciens, traiteur... Une excellente soirée à danser (tiens, au passage, c'est en 1991, au cours du mariage de Gilles et de Martine que je me suis décidé à prendre des cours de danse), à chanter (si l'apprentissage de la danse fut difficile, le chant est sans espoir) et à blaguer. Une nuit confortable et un dimanche vraiment sympa. Martine, tout était admirablement organisé, mais sans nuire à ton âge, vivement tes 50 ans qu'on recommence ! Encore merci ! Et bien sûr, merci à Gilles aussi.

album de photos >>>

En famille à Oléron

Oui, grâce à toi Carole et à toi Martine, je marque indirectement des points. J'ai eu moins le temps d'écrire et Françoise a eu moins l'occasion de pester contre moi. Nous sommes partis dès le lundi 6 avril pour une semaine de vacances à l'île d'Oléron. Une semaine en famille où je n'ai également pas eu le temps d'écrire. J'ai toutefois passé un peu de temps sur l'ordinateur de ma maman. Depuis quelques mois, elle ne pouvait plus se connecter sur Internet pour lire mes chroniques ni pour envoyer des messages. La carte modem était en panne. Nous avons fêté cela avec une bonne glace sur le port de la Cotinière. Le lendemain fut une journée thalasso à Saint-Trojan. Ma tante Pierrette est venue de Paris pour quelques jours. Au programme, ballades dont une jusqu'à La Rochelle avec restaurant à la clé où nous avons célébré, Théo mon père et moi, notre anniversaire. Repus, nous sommes allés visiter l'Aquarium que je recommande vraiment à tous ceux qui s'intéressent à la faune marine locale ou exotique. Promenades à la plage, sortie au marché du Château... Une semaine agréable mais qui est passée trop vite.

Un bisou ?

Méditation : la voisine de mes parents est très âgée. Elle vit seule. Durant cette semaine là, elle est tombée à 4 reprises pendant notre absence. Mes parents étant avec nous, ce sont d'autres voisins qui sont venus la relever. Chaque chute l'affaiblit davantage. Comme ma grand-tante Camille, je l'entends dire qu'elle en a assez de la vie. Sa fille refuse de s'en occuper. Cette situation me touche beaucoup, parce que tout d'abord cette femme est très gentille et qu'elle ne mérite pas cela. Mais aussi parce cette situation met le doigt sur un point délicat de notre façon de vivre : avons-nous bien préparé notre propre fin de vie ? Non, on souhaite pour soi-même une mort lointaine et spontanée. A l'évidence, c'est nier la teneur même de la mort et c'est repousser ainsi tout scénario. On évite de parler de la solitude, de l'isolement. Pourtant, ce lent déclin vers la mort requiert une qualité de vie qui doit se préparer.

Autre méditation : j'aime bien lorsque Françoise me fait des bisous. Même lorsqu'elle n'est pas là, je peux continuer à en avoir... en mettant le curseur sur sa photo ci-dessus, vous comprendrez certainement (une machine à bisous virtuelle). Je gagne des points vis à vis de Françoise, mais maladroitement, je viens de ternir à jamais mon image auprès de mes admiratrices. Que le monde est cruel !

Un agenda bien rempli

Retour au travail mardi 25 mars. Pour ce premier jour, j'ai assisté à une réunion de présentation de logiciels permettant de faire du test de code (contrôle du respect des règles de codage) et du test unitaire. Déjeuner avec l'équipe. En fait, nous mangeons rarement ensemble car depuis mon retour d'octobre je suis très sollicité pour déjeuner à droite ou à gauche. Par exemple mardi 1 avril j'ai déjeuné avec Bernard, puis le 3 avec Jean-Marc et Xavier à l'extérieur, histoire de raviver nos souvenirs communs de la radiothérapie : 5 ans que nous ne nous sommes pas vus alors que nous travaillons toujours dans la même entreprise. Merci pour tous ces excellents moments ! Il y a aussi les pots en fin de journée comme celui organisé par la faculté d'Orsay. Là, année après année, je reste emerveillé par ce que peuvent produire les étudiants avec la technologie. La promotion JEDI a réalisé une présentation Vidéo remarquable tant sur le point des techniques de montage que des effets spéciaux. Comme il est agréable de voir que la vie continue et que les techniques progressent autour de soi !

Mes développements continuent bon train (toujours au rythme de 2 jours par semaine). Ma première application webserver (annuaire de liens avec moteur de recherche) tourne enfin depuis le 15 avril (déjà 50 sites répertoriés principalement dans le domaine du développement logiciel). La mise au point fut un peu longue mais cette application fonctionne bien et me sert déjà de base pour une autre beaucoup plus importante en taille (gestion du matériel informatique). D'ailleurs, la liste des futures applications s'allonge : gestion des demandes de congés, verrouillage et réservation automatique des machines de test en plate-forme... En sorte, des petits boulots sympathiques sur le plan technique en attendant de retrouver une vie professionnelle à temps plein.

Mais il faut que je me repose. Le grand beau temps et le fait que ma dernière chimio remonte à plus de 30 jours, m'ont incité à profiter de la forêt à deux pas de la maison. Théo et ses meilleurs copains ont fabriqué une cabane et s'inventent de nombreuses aventures pendant que, plus au calme, je dessine ou peins avec Françoise. C'est l'heure du goûter, les enfants assis à l'intérieur de la cabane profitent de cet instant pour débattre de leurs héros favoris ou au contraire de ceux qu'ils n'aiment pas. Des ennemis, il y en a partout, même à l'école. Quelques noms fusent mais les avis sont partagés. La définition même du mot ennemi les divise. Il est amusant de voir ces petites têtes blondes débattre de façon très réfléchie. Avec beaucoup de tolérance et un brin de fermeté, Théo reprend Raphaël : "Raphaël, de quelle main écris-tu ? La droite ? Eh bien, tu vois, je suis gaucher, je ne suis pas ton ennemi pour autant !" Nous nous sommes regardés Françoise et moi, impressionnés. Impressionnant aussi, Mathis avec ses descriptions de l'univers, de l'infini et des quelques secondes qui ont précédées le... "BING" bang ! Nous sommes le mercredi 26 mars. La végétation frémis, le période des amours a déjà commencé. Les crapauds s'en donnent à coeur joie dans l'étang de Vaubersant sous les yeux amusés des enfants. Trois semaines plus tard, nous avons contemplé les têtards.

Le moment du goûterRaphaël et MathisMathis et HippolyteHippolyte et ThéoLes amours des crapauds

 

 

Santé

Mardi 1er avril, Françoise est tombée malade. Oh rien de bien grave ! Juste une gastro et ce n'est pas un poisson d'avril ! Du coup elle se retrouve en quarantaine car nous n'avons nullement l'intention de l'attraper. Le problème c'est que jeudi est un jour de grève, l'école primaire de Bullion est fermée. C'est le 4ème depuis le début de l'année scolaire et je ne peux pas laisser les enfants seuls. Pour une fois que je travaille, dois-je m'abstenir et rester à la maison ? Finalement ce seront Papy et Mamie qui viendront à la rescousse. Mais d'un commun accord, je finirai vers 5 heures pour emmener Fanny à la danse. En attendant, je prends donc la relève aux fourneaux pendant que Françoise se repose.

Le résultat de la prise de sang de mercredi 8 avril est correct. J'ai 12.8g d'hémoglobine. 45 jours ont passé depuis ma dernière chimiothérapie, je dois penser à anticiper la séance prochaine par de l'EPO en essayant de respecter la dose de 15000 UI /semaine. Ce produit valant très cher, je gère au mieux les dates limites. Mon stock de 5000 UI s'épuise et ensuite je n'ai plus que des 10000 UI. Et là, il m'en reste assez jusqu'à la fin du traitement, peut-être même plus : jeudi 9 (5000 UI), dimanche 13 (5000 UI), jeudi 17 (10000 UI), lundi 21 (5000 UI). Ce qui me permet d'avoir 14.2g d'hémoglobine, dose acceptable pour affronter, le 23 avril, la prochaine chimio à l'Aracytine / Endoxan.

Michel, mon oncle, se remet difficilement d'un cancer au niveau des glandes salivaires. Chimiothérapie, opération, radiothérapie, malgré la dureté du traitement il n'a pas pris garde à la gestion de son immunité, il a attrapé un germe et est tombé malade. Il ne s'est pas méfié pensant qu'il allait guérir seul. Pourtant avec un tel traitement, il n'est plus une personne comme les autres. Ses défenses immunitaires sont plus faibles. Au bout de 3 semaines il s'est retrouvé à l'hôpital affaibli au point de ne plus tenir debout. En 2 mois il a perdu 32 kg. Aujourd'hui il semble reprendre un peu de force mais après une chute, il n'a plus vraiment sa tête depuis quelques jours. Est-ce la chute ou la déprime qui s'installe progressivement ? Sa mémoire court-terme lui fait défaut, oubliant les personnes qui sont venues le voir ou celles qui l'ont appelé dans la journée, oubliant le contenu de ses repas. Les questions qu'il pose sont d'un autre temps, celui de son enfance, de sa mère, de son père ou du médecin de famille qu'il croit encore tous vivants. Pourtant ils sont morts depuis bien longtemps. Nous sommes très inquiets.

Au cours du pot de départ de Bruno A, le 6 février, j'ai rencontré Patrick B. Nous étions très contents de nous retrouver. Nous avons travaillé ensemble en 1994. Dans la conversation j'ai appris que son frère était atteint d'une leucémie et qu'il souffrait beaucoup. En arrivant au travail mardi 22 avril, j'ai appris qu'il avait été emporté. Patrick, je suis de tout coeur avec toi !

Au cours de l'anniversaire de Martine, j'ai fait la connaissance de Lise. Un de ses proches vient de se découvrir un lymphome qu'il qualifie de "jeune". Je ne sais pas ce qui se cache sous le terme "jeune". Est-ce le fait que la maladie ait été prise à tant ou est-ce le type de lymphome : maladie de Hodgkin (caractérisées par la présence de certaines cellules anormales, cellules de Sternberg) ou un lymphome malin non hodgkinien (anciennement appelé lymphosarcome) qui regroupe toutes les infections malignes du tissu lymphoïde (dans les ganglions ou autre). A suivre...

Turlulu, Turlulu, Turlulu, Tah! Tah! Tah! ... Ici Londres !...

Voila, il est temps de rejoindre l'hôpital Saint-Louis pour une nouvelle chimiothérapie (Aracytine / Endoxan). Avec celle-ci, il ne m'en reste que 3.

A très bientôt

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