Le 25 novembre : Kamel est reparti, je reste triste

Après ma dernière chimio, ce fut un mois calme à la maison. Le chemin du traitement suit son cours. Tout va bien. Au cours de la consultation à l'hôpital Saint-Louis nous avons abordé le problème de la vaccination contre la grippe et le pneumocoque. Mais les vaccins ne me sont pas recommandés pendant mon traitement. Aussi, dois-je continuer à faire attention : les bisous tant espérés de mes admiratrices sont reportés à plus tard. C'est dur ! Je ne sais pas si je vais tenir le coup. Plaisanterie mise à part, la nouvelle qui me touche le plus, c'est Kamel qui nous a quitté subitement le mois dernier : une leucémie. J'ai honte d'avoir plus de chance que lui. "Pourquoi, vit-on ?", cherche à comprendre mon fils Théo au cours de sa minute philosophique. Question ouverte, succincte mais dont la réponse doit admettre bien des arguments.

Mardi 26 je reprends le travail, toujours deux jours par semaine. Place aux sorties jusqu'à Noël. Prochaine chimiothérapie le 26 décembre.

Détail de la dernière séance

Sans grande surprise, je suis retourné à l'hôpital Saint-Louis le 24 et le 25 octobre pour recevoir ma dose habituelle de chimiothérapie (Méthotrexate, le jeudi et Asparaginase le vendredi). Arrivé pour 10 heures, il faut parfois attendre longtemps avant de voir le médecin, c'est pourquoi j'apporte souvent de la lecture. A mesure des traitements, j'arrive plus facilement à me concentrer sur mes lectures. L'habitude m'apporte une certaine confiance, une certaine sérénité même s'il me reste toujours un peu d'appréhension. Pas facile de retourner à l'hôpital se faire empoisonner alors qu'on semble se sentir bien portant.

Ce n'est que vers midi que je verrai le médecin. Aujourd'hui c'est Delphine. Elle m'ausculte, inspecte les cicatrices produites par l'implantation de mon nouveau cathéter. Ah ! Un fil a été oublié, mais il semble possible de l'extraire facilement. L'infirmière me le retirera aussitôt la consultation terminée. Un autre fil, à la base du coup, a été oublié et commence à s'infecter : un petit bouton à tête blanche est apparu. "Il date de l'avant veille", lui dis-je. Pour celui-ci, j'appliquerai un peu de crème antiseptique, le temps qu'il sèche. Mais attention, il faut bien se laver les mains à la Bétadine avant l'application, puis se les relaver après le geste. C'est très important car c'est là que le cathéter entre dans le système vasculaire. Une infection ici et c'est la porte ouverte à de très graves complications.

Delphine a reçu du docteur Cormier ses premières conclusions sur l'étude de mon métabolisme osseux. Delphine confirme qu'un examen de densitométrie osseuse sera nécessaire pour vérifier l'arrêt du processus de décalcification. Quant aux taux importants des phosphatases alcalines (pouvant indiquer une carence en vitamine D), l'origine n'est pas osseuse mais bien hépatique. C'est bien à cause de mon traitement. A la réflexion, j'y reviendrai dans quelques mois car je ne sais pas dire aujourd'hui, à l'aide de mes données, si l'origine vient de l'EPO ou du dosage de l'inter cure (voir la courbe des phosphatases alcalines de la chronique du 7 septembre : particulièrement la courbe bleue). A suivre donc.

Vaccination ?

Je pose maintenant la question de la prévention du pneumocoque et de la grippe par la vaccination. Le docteur Bacarisse m'avait conseillé d'aborder ce sujet à la suite de la visite médicale pour la reprise de mon travail (voir chronique précédente : ma première journée au travail). En effet un ami proche du docteur a contracté une leucémie il y a déjà longtemps. Il s'en est sorti et quelques années après, il est tombé gravement malade. L'origine ? Un pneumocoque. Il semble qu'après une leucémie, on en ressorte fragilisé, d'où l'idée d'une vaccination préventive :

Mais la vaccination sous chimio ou radiothérapie n'est pas recommandée. Elle a très peu de chance de conférer une protection et ne doit être envisagée que 6 mois au plus tôt après mon traitement. Inutile donc de l'envisager et de se sentir faussement couvert. Car en cas d'infection, on pourrait écarter cette piste, puisque j'aurais été vacciné. Donc ne rien pratiquer actuellement semble la meilleure solution, et si le risque de contamination se produit, j'aurais l'antibiothérapie adaptée. Le risque de résistance du germe existe mais que dire de tous les risques déjà encourus jusqu'à présent ?

Les bisous ne sont pas pour demain

La peau est messagère de l'âme. Par le toucher on s'engage, mais aussi on s'expose dans le visible et l'invisible. En effet, dans le visible un bon gros bisou affectueux est un régal. Il laisse des émotions : la douceur et la tiédeur du bisou sur la joue, le frôlement de nos nez, lorsqu'on s'en fait deux, trois ou quatre, parfois le trouble aussi. Caresse du bout des lèvres, de joue en joue, "elle trace son sillage et emporte sa trace dans ce mouvement". Une marque de rouge reste parfois, témoin de cette tendresse fugitive. Cette caresse, "elle est douceur, car elle sait qu'appuyer plus ne lui permettra pas de toucher l'intouchable". On peut se trahir ou se déclarer. Etienne Gruillot dit dans "Petites chroniques de la vie comme elle va" : "On peut voir sans être vu mais on ne peut toucher sans être touché".

Et c'est bien là tout mon problème ! Car on s'expose aussi dans l'invisible. Louis Pasteur m'a dit que nous inhalons 80% de nos maladies. Avec les trous que j'ai dans mon spectre de défense immunitaire, la rigueur doit rester de mise. T'as raison Louis, depuis 21 mois, je suis obligé à limiter le contact : pas de bisous, un point c'est tout ! Facile à dire car cela finit furieusement par être frustrant. Pourquoi avons-nous tous l'étrange plaisir de toucher ? Selon Freud, la libido se ramène toujours au désir de toucher et d'être touché, comme une volonté de sortir de soi pour rejoindre l'autre. Avec Françoise je ne peux tout de même pas rester de glace et c'est pareil avec mes enfants qui ont besoin de chaleur et d'affection. Je ne peux tout de même pas vivre en ermite, reclus à la maison. Et puis que faire avec les membres féminins de mon e-fanclub (une centaine environ) qui à la première occasion me sautent au cou ? Bon c'est vrai, j'ai déjà fait beaucoup de concessions mais comment continuer à résister aux embrassades de ces ravissantes femmes ? Comment me refuser à leurs élans de tendresse ? Toujours me refuser, toujours m'excuser et remettre ce moment voluptueux à plus tard, lorsque je serai guéri. Louis, en toute honnêteté j'éprouve une grande frustration. Je vais craquer !

Allez, juste un seul bisou à la première de mes admiratrices qui se présente ! Juste un ! Pas quatre, ni trois, ni deux mais un, un seul. Pas une bonne grosse galoche mais un tout petit bisou de rien du tout. Non ? Tu ne veux pas ? Avec Françoise seulement, et encore ? Louis, tu es vraiment intraitable avec moi !

Alors, j'ai embrassé Françoise. J'ai profité de ce court instant sur un air de Charles Aznavour : "dansons, joue contre joue, [..] comme si sur la terre, il n'y avait que nous..." Elle m'a refilé son rhume. Je tousse et renifle depuis déjà une semaine. Maintenant, j'ai peur des complications.

Louis, t'avais mille fois raison. Bullion, le 20 novembre 2002.

 

Kamel est reparti, me laissant très triste

Le 30 août dernier, Driffa a lancé une bouteille à la mer. Au hasard des vents et des marées, celle-ci est venue s'échouer sur le rivage de mon site Internet. Je rentrais de mes vacances d'été lorsque j'ai pris connaissance de cet appel au secours. Kamel, le cousin de Driffa, a contracté une leucémie. Agé de 33 ans, le choc est épouvantable. De plus, deux ans auparavant, Kamel avait perdu son père à la suite d'un cancer. Injustice de la vie, Driffa s'est jetée sur Internet dans un profond désarroi. Elle s'est attardée un moment sur mon site web, probablement parce qu'il semblait à la fois plus simple que les rapports médicaux disponibles et plus humain. C'est ainsi que nos échanges ont commencé. Kamel est hospitalisé à l'IGR à Villejuif. Les médecins ont prévu un traitement de 6 mois semble-t-il et la première chimiothérapie comment le 2 septembre. Même si c'est un centre performant dans le domaine, l'image très négative de la leucémie reste, à juste titre, profondément ancrée dans notre mémoire collective. A tort ou à raison, Driffa n'y croit pas. Peu importe, je sais par expérience que les premiers mois du traitement sont décisifs.

Nous avons abordé toutes les questions de base : est-ce que cette maladie se soigne ? Quel est le type de leucémie ? Quelle chance a-t-il de s'en sortir ? Que les traitements ont fait des progrès considérables tant au niveau réussite qu'en qualité de vie. Mais que Kamel devra se montrer patient et persévérant. Une chose est certaine, le support de tous est primordial. L'une des grandes leçons que j'ai apprises ici, c'est qu'il faut parler, parler, parler... pour se vider l'esprit et démystifier le sujet car il en ressortira toujours quelque chose de positif. Je l'ai ensuite invité à lire en détail le contenu de mon site et je crois qu'elle en a tiré son lot de courage et d'optimisme pour les visites auprès de Kamel.

Les semaines ont passé. Alors que je vantais à Driffa qu'il y a une lumière au bout du tunnel, que j'allais pouvoir retravailler, alors que la veille même, Kamel plaisantait avec Driffa sur son crâne rasé, me voila plongé dans une grande confusion. La nouvelle de Driffa m'a consterné. J'ai honte d'avoir beaucoup plus de chance et je reste profondément affecté. Kamel s'est éteint subitement le 3 octobre d'une hémorragie cérébrale. Toutes mes pensées les plus sincères vont à toi Kamel, à toi Driffa et à toute votre famille.

Entre nous Kamel, tu nous as joué un sale coup ! La mort n'est-elle pas un manque de savoir-vivre ?

La minute philosophique de Théo

Cette minute philosophique pourrait s'appeler : "Maman, j'ai posé un pot de colle à papa ! " Nous revenions d'une ballade en vélo, Théo et moi pendant l'été dernier. Nous pédalions tranquillement le long du canal du Nivernais, lorsque Théo mon fils de 6 ans a abordé la conversation de cette façon : "Papa, pourquoi vit-on ?" Question ouverte, succincte, mais dont la taille réponse, inversement proportionnelle à la taille de la question, doit admettre une infinité d'arguments. Aussi lui demandais-je de préciser sa question. Ce qu'il fit aussitôt : "pourquoi faut-il mourir ?" Ca y est, comme moi à son âge, il a pris conscience de la vie et de la perte d'un être cher. Cependant, je pense qu'il est plus précoce que moi, sans doute parce que je suis malade et que ça l'inquiète beaucoup. Si son papa reste le plus beau et le plus fort de tous les papas, il a compris que je n'étais pas immortel. "Pourquoi faut-il mourir ? Répétais-je, parce que nous vieillissons tous et qu'il faut bien laisser sa place aux enfants qui viennent d'arriver. Sinon nous n'aurions plus de place sur la terre depuis longtemps. De plus les enfants n'auraient plus le droit de jouer car ils dérangeraient sans arrêt le nombre grandissant de personnes âgées".

Sa réponse ne se fit pas attendre : "Oui mais papa, pourquoi on est là et qu'il faut mourir tout de suite après ? Ca sert à rien qu'on soit là !" La question comporte deux volets, c'est pourquoi il me semble bon de la découper : le pourquoi et l'utilité de notre présence.

Sur le principe Théo parut convaincu et accepta mes arguments.

 

Les effets secondaires ce mois-ci

De retour à la maison à la suite de ma chimiothérapie, je suis rentré le vendredi 25 octobre dans l'après midi. Comme d'habitude j'étais fatigué. La différence c'est que les premières grosses nausées ne sont apparues que le dimanche soir pour s'estomper le jeudi dans la journée. Les nausées m'ont semblé plus faciles à supporter. Je n'ai d'ailleurs pas utilisé de Primpéran en suppositoire et ça c'est une bonne nouvelle car si les doses de chimiothérapie restent identiques, je m'accoutume. Les prélèvements sanguins sont aussi mieux tolérés depuis que Delphine m'a conseillé une activité physique plus soutenue au niveau des bras. Elle favorise la revascularisation.

J'ai eu un gros coup de fatigue aussi. Avec des maux de têtes inhabituels. Inquiétudes. Finalement je mettrai cela sur le compte du départ de mon rhume.

 

Turlulu,Turlulu, Turlulu, Tah! Tah! Tah! ... Ici Londres !...


Merci à tous pour vos messages et cartes postales !

A bientôt

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