Le 23 octobre : je retravaille

Depuis longtemps je m'arrange pour que l'ensemble de ma chronique soit rédigé la veille de chaque chimiothérapie, comme pour me fixer un but, une date butoir. Cette fois, il ne me restait plus qu'à rédiger l'introduction, mais bercé par mes lectures du moment (Java, JSP, PHP et MySQL, des lectures ésotériques pour informaticiens), j'ai tardé un peu et reporté ma tâche au lendemain soir, le 24, après ma chimio. Grave erreur ! J'étais trop fatigué et mon foie n'avait pas le goût à cela. Alors le temps a filé et nous sommes le 31 octobre maintenant.

Ce mois-ci j'ai travaillé cinq jours. Cinq jours courts mais intenses. Ce retour dans le monde du travail est en quelque sorte ma revanche. Une envie de tourner la page aussi. Mon patron a changé. Mes valeurs aussi, je me suis forgé "une petite philosophie". Quel fantastique accueil vous m'avez fait ! Je ne l'oublierai pas. Merci du fond du coeur !

Je retravaille

Voilà je retravaille. Vous ne vous doutez pas à quel point c'est un réel plaisir ! Cependant vous avez été quelques-uns à me poser la question : "Es-tu sûr de vouloir VRAIMENT retravailler ?" Il est vrai qu'il me reste encore un an de traitement. Je suis en arrêt maladie, pris en charge à 100% par la sécurité sociale, je donne l'image de quelqu'un de bien portant (même si, je le rappelle, personne ne me voit lorsque je suis mal) : je pourrais donc en profiter, prendre du bon temps.

Pourtant, je veux retravailler car cela symbolise la revanche, le pied de nez à la maladie, avec l'envie de lui crier que me revoilà avec un excellent moral. Mais arrêtons la provocation, la rechute reste toujours possible. Olivier de Kersauson a des mots bien à lui pour traduire cette situation : "lorsqu'on met le doigt dans le trou-du-cul du diable, il faut partir au plus vite avant qu'il ne se retourne".

L'autre raison qui me pousse à retravailler, c'est la volonté de tourner la page. Même si la fin du traitement reste encore loin, il faut commencer à oublier, se focaliser sur les bonnes choses et rebâtir des projets.

Ma première journée

Le 8 octobre, j'ai rendez-vous à 10 heures pour la visite médicale : analyse d'urine, examen de la vue pour commencer. Ma vue a baissé un peu, surtout de près, mais pas de quoi porter des lunettes. La visite se poursuit avec le médecin et durera deux heures. Je ressors avec deux questions importantes à destination des médecins de l'hôpital Saint-Louis : qu'en est-il de la prévention des infections par pneumocoques par la vaccination ? Même question pour la grippe.

Je retrouve mes collègues et je ne vois pas passer le temps jusqu'à 16 heures. Je viens de quitter Annie avec qui j'étais en discussion pour rejoindre ma première réunion de service. Toute l'équipe est là pour la présentation du nouveau patron. Dominique étant parti peu de temps après le début de ma maladie, Fabrice l'a remplacé. Après 18 mois environ, c'est au tour de ce dernier. Je n'ai pas eu le temps de le connaître : juste une heure, au plus, en janvier dernier lorsque j'étais passé à l'occasion de la galette des rois. Tim remplace donc Fabrice provisoirement. Il est arrivé de la veille. Comme moi, ce sont ses premiers jours. Il sera présent toute la semaine. Réunion de présentation. Tim est américain, cinquantaine grisonnante, il vient du service GSP (global Software Platform). Le provisoire deviendra-t-il permanent ? Personne ne le sait. Il expose sa stratégie. Il se veut proche de nous car il était développeur de logiciels. Aucune question. Pot sur la plate-forme. La première journée est bouclée.

2ème journée

Le 11 octobre l'équipe a organisé un petit déjeuner en l'honneur de mon retour. Près de 70 personnes étaient présentes. Croissants, pains au chocolat, pains aux raisins... Comme il est agréable de se retrouver ensemble après une si longue absence. Je les ai remerciés du fond du coeur par un petit discours improvisé. Deuxième petit déjeuner, car j'ai volé la vedette à Frédéric qui vient juste d'être papa d'un petit garçon. Croissants de nouveau.

Alors que je suis en train de me débattre pour récupérer mon badge, ma connexion réseau et mes comptes de développement, j'apprends que j'ai un entretien individuel avec Tim à 15 heures. En fait, il souhaite voir toute l'équipe individuellement. Le thème est : "what can I do for you?" (que puis-je faire pour vous ?), j'ai juste le temps de préparer une trame de discussion et je me retrouve avec lui. Le début est un peu laborieux mais mon Anglais revient petit à petit. Il est au courant de mes problèmes. Eric, mon chef, l'a mis au parfum. Après quelques messages de soutien, nous abordons mes précédentes réalisations pour lesquelles il prend quelques notes. Viennent ensuite mes projets futurs (à temps partiel). Nous nous retrouvons vite autour de son PC à parler technique avec beaucoup d'enthousiasme. Nous nous découvrons des connaissances communes Jim Nash et Cris Sievenpiper deux Américains avec lesquels j'ai travaillé plusieurs années. Cris a effectué des développements pour Tim. Quant à Jim, il a fait tellement parlé de lui avec CMM (Capability Maturity Model), DFSS (Design for Six Sigma) for software et DFR (Design for Reliability) for software, qu'il est difficile de ne pas avoir entendu parlé de lui. Comme tout manager, Tim en veut encore plus : davantage de technologie, automatiser au maximum. Ca tombe bien, c'est ce que je souhaite aussi. Il reprend des notes, me dit de ne pas hésiter si j'ai besoin de matériel, il m'enverra aussi des documents et des contacts de personnes qui peuvent m'aider. Fin de la journée.

Au total j'ai travaillé 5 jours au cours du mois d'octobre. Uniquement le mardi et le jeudi. 5 jours d'un rythme effréné par opposition à la vie calme de la maison.

La "petite philosophie"

Lorsqu'une maladie grave tente de détourner le cours de votre vie, vos valeurs changent. Voici ce dont j'ai retenu de cette expérience que l'on pourrait qualifier de "petite philosophie" :

Lorsque je remplis un bocal avec des pierres de bonne taille, par exemple de 5 cm de diamètre, je crois pouvoir dire qu'il est plein. Cependant si j'ajoute de petits cailloux et que je secoue le bocal, les petits cailloux se glissent entre les pierres. Je peux dire que cette fois il est plein. Mais à la réflexion, si je procède de la même façon avec du sable, il viendra prendre place entre les petits cailloux.

Si ce bocal représente ma vie, les pierres matérialisent Françoise ma femme, mes enfants, la famille, la santé, les amis... Les choses qui feraient en sorte que ma vie soit quand même remplie si rien d'autre n'existait. Les cailloux représentent les autres choses qui comptent : le travail, la maison, la voiture... Quant au sable, il symbolise tout le reste c'est à dire les petites choses.

Si je remplis le bocal avec que du sable, il n'y a plus de place pour rien d'autre. C'est la même chose pour la vie. Si je dépense trop de temps et d'énergie pour les petites choses, il n'y aura plus de place pour les choses importantes. Moralité faites attention à ce qui compte vraiment pour votre bonheur : jouez avec vos enfants, prenez le temps de passer une visite médicale annuelle, emmenez votre partenaire danser... Il vous restera toujours assez de temps pour aller travailler, nettoyer la maison, réparer le sèche linge (tiens, le mien a rendu l'âme la semaine passée). Occupez-vous des pierres avant tout, même s'il est parfois difficile de faire l'impasse, focalisez-vous sur les choses qui comptent vraiment.

Le reste n'est que du sable.

Clin d'oeil et tous mes encouragements à Anne-Charlotte qui vit actuellement des événements difficiles. Je dédie aussi cette "petite philosophie" à Driffa porteuse à l'instant d'une affreuse nouvelle. J'en parlerai sans doute la pochaine fois.

 

Dosage de la chimiothérapie orale

Mon dernier cathéter ne m'autorise pas à effectuer des prélèvements hebdomadaires. Je sais qu'en insistant auprès des médecins, cela pourrait être possible, mais à quel prix ? A raison d'une fois par semaine, la petite surface de peau exposée sera très sollicitée. Alors, je suis revenu au prélèvement classique : prélèvement sur les veines des bras. Mais après plusieurs tentatives il est de plus en plus difficile de puiser du sang sur celles-ci. A force d'être piquées, elles deviennent plus résistantes. Tantôt, elles échappent à l'aiguille en déviant, tantôt elles se ferment sous l'effet de la dépression. J'ai encore le souvenir du prélèvement malheureux de septembre. Après une tentative manquée sur un bras, Marie l'infirmière libérale, a attaqué l'autre bras, mais sans succès. Elle est revenue sur le premier pour s'essayer sur l'autre veine mais toujours rien. Elle s'est ensuite rabattue sur une veine localisée sur le dessus de ma main droite. Aucun résultat. La veine a même claqué sans délivrer la moindre goutte. Place à la veine de la main gauche qui, après un acharnement de quelques minutes, a fini par délivrer son sang. Marie est partie en me laissant 5 pansements, le dessus des mains meurtri et des bleus pour plusieurs jours. Tout cela pour 10 ml de sang. Finalement j'ai bien fait de demander des prélèvements tous les 15 jours.

Un prélèvement tous les 15 jours ne permet pas d'avoir un dosage des inter cures aussi fin qu'auparavant. J'ai tenté de faire des prédictions mais la taille de l'échantillon s'est avérée trop faible pour avoir un bon niveau de fiabilité. Alors j'ai décidé d'appliquer la règle habituelle sur 15 jours même si je dois en pâtir un peu. Si la dose est trop forte, elle le sera une semaine de plus. Si au contraire elle est trop faible, elle le sera également une semaine de plus. Ce qui me réconforte, c'est qu'en moyenne j'ai besoin d'une 1/2 dose du fait du niveau important de bilirubine.

 

Date

J Cure (0)

Inter cure : Oui / Non

Dose ou Commentaire

04-sept

-1

Non

-

18-sept

14

Oui

-1/2 dose (bilirubine T > 20 mg/l)

02-oct

28

Oui

-1/2 dose (bilirubine T > 20 mg/l)

16-oct

42

Non

Prochaine chimio dans 1 semaine


Pleine dose : Purinéthol = 2 comprimés / j, Méthotrexate = 8 comprimés / semaine

Les sorties

Comme je vis à temps partiel, les week-ends se trouvent un peu surchargés. Mais ce ne sont que des bons moments : de bons gros "cailloux".

 

 

 

Turlulu,Turlulu, Turlulu, Tah! Tah! Tah! ... Ici Londres !...


Merci à tous pour vos messages et cartes postales !

Les vacances de la Toussaint approchent. Je pars pour une nouvelle croisière dès jeudi prochain : le 24 octobre. Pour la N ième fois ça va être "le Cap Horn" avec 3 semaines de vents contraires, entre les 50èmes rugissants et les 60èmes hurlants. Je n'ai toujours pas le pied marin. C'est vrai, je me souviens déjà qu'au cours de mes multiples sorties pour Belle île, Groix, ou Ré, il me fallait au moins une journée pleine pour m'adapter. Pour ce Horn là, tout est irrémédiablement démesuré. Une semaine ? Plus pour s'adapter ? Tout dépend de la clémence de la météorologie et ma capacité à débusquer les petits trucs qui permettent de juguler les nausées et les vomissements. Pour ce Horn là, il n'y a ni bateau, ni voile, ni mer. Il n'y a aucune passion lorsque je monte à bord du Saint-Louis, je hume une dernière fois la Vie à plein poumon, je la sens là toute proche, je la sens aussi qui peut s'échapper. Je ferme les yeux, je fais le gros dos en attendant 3 semaines que la tempête se calme en pensant à mon bocal, mes pierres et mes petits cailloux.

Durant ces vacances les enfants partent chez leurs grands-parents. C'est mieux ainsi.

A bientôt

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