Célébration de ma guérison

Bullion, dimanche 23 avril 2006

Bonjour à tous,

Vous avez été nombreux à témoigner votre soutien lorsque je suis tombé malade en février 2001. Vous m'avez fait partager votre quotidien : au travail, à la maison ou en vacances. Face à cette terrible maladie, j'ai eu l'impression de me retrouver parmi vous, avec le sentiment de continuer à exister. Cela peut vous paraître dérisoire... mais votre support à été essentiel, car sans vous, comment conserver l'envie de vivre ? Comment trouver les armes pour combattre ?

Sur mon tableau blanc, j'ai conservé une de vos nombreuses cartes en souvenir de votre solidarité. Sur celle-ci est inscrit "Reviens vite...". Certes j'ai mis du temps à revenir, mais j'y suis enfin arrivé. En ce mercredi 22 mars 2006, je fête ma guérison, après exactement cinq années de rémission.

Parce que cette étape est importante pour moi, mais aussi pour tous ceux qui se battent, j’ai tenu à célébrer cet événement.

Merci à tous pour votre soutient !

Ci-joints >>>l'album photo et >>>le discours.

 



Discours de la célébration

Je célèbre aujourd’hui mes cinq ans de rémission. Afin de planter le décor, je vais commencer par une anecdote. Au cours de mes longues attentes dans les couloirs de l’hôpital Saint-Louis, je me suis arrêté un jour devant un tableau réalisé par Ben, un peintre contemporain. Si j’avais trouvé ce tableau gonflé par sa pauvreté picturale, il ne me laissa pas intact. Il n’y avait qu’un texte couvrant toute sa surface, un texte écrit en tout petit, de façon continue, ligne après ligne, en bleu azur sur noir : il bât, il bât, il bât, il bât, il bât… Seul deux mots, en gros caractères couleur sang, semblaient jaillir du centre comme pour briser cette uniformité et rappeler l’évidence oubliée : je vis. Faut-il être confronté à une maladie grave pour en mesurer la teneur ? N’a-t-on pas tendance à oublier cette réalité, ce que l’on pourrait nommer « notre essentiel » ?
Jean-Luc a été mon manager. Nous sommes arrivés ensemble à la radiothérapie. Si ma fonction était de développer un logiciel pour commander le collimateur multi-lame, je ne connaissais pas ou peu le métier de la radiothérapie. Je me souviens de lui avoir demandé à visiter des hôpitaux, afin de m’imprégner du contexte, de mieux comprendre ce domaine et ses besoins. Je suis donc allé effectuer des installations de matériel, effectuer des réglages, des modifications, à Louvain en Belgique et à Upsalla en Suède. Mais si j’avais appris beaucoup techniquement, et si j’avais pu approcher l’environnement du patient, j’avais été bien loin d’imaginer ce qu’il pouvait vivre ou ce qu’il ressentait réellement.
Je ne savais pas non plus que, quelques années plus tard, j’allais effectuer une immersion totale dans ce monde inconnu. Ce monde médical où baignent justement les patients, ce monde avec son vocabulaire ésotérique où l’on entend : induction, consolidation, entretien, myélogramme ou aplasie. Et si parfois le vocabulaire paraît accessible, comme scintigraphie cardiaque, chimiothérapie, chambre stérile, cathéter, protocole, il a pris à mes yeux une réelle signification aujourd’hui.

Leucémie, en bref...

En bref la leucémie :
La leucémie (sang blanc) est une mutation puis une prolifération des globules blancs ou de ses précurseurs. Leur nombre, sans cesse croissant, vient gêner, puis stopper la fabrication des autres cellules du sang, comme les globules rouges ou les plaquettes. Le lieu de cette production est situé dans la moelle osseuse.
Selon le rapport publié en avril 2003 par la Commission d’orientation sur le cancer, 6200 nouveaux patients par an sont atteints de leucémie en France. Parallèlement, 5000 personnes en décèdent durant cette même année. Autant dire que j’ai eu beaucoup de chance. C’est pourquoi je crois utile de célébrer ma guérison et de la communiquer. Car vous connaissez certainement quelqu’un dans votre entourage qui lutte, ou qui a lutté dans un combat analogue. Un tel succès donne l’espoir, apporte la lumière au bout du tunnel, fourni un objectif à atteindre, une force de combat.
Avant 1971, la leucémie était toujours fatale. Si le professeur Jean Bernard réussit le premier une rémission de quelques semaines sur un enfant leucémique simplement en changeant entièrement son sang, les premières guérisons durables sont apparues grâce à la Radiothérapie en complément des chimiothérapies. Depuis d’autres molécules ont été découvertes et ont complété l’arsenal des chimiothérapies. Cet ensemble, savamment combiné sous la forme de protocoles, a permis d’élever significativement l’espoir de guérison, pour atteindre un taux 80% chez les enfants, dans certains cas de leucémies. Quant aux adultes, les taux restent moins bons et culminent vers 60% du fait des complications engendrées par l’âge.

Mon traitement en quelques chiffres :

  • 27 chimiothérapies réparties sur près de 1000 jours,

  • 2 séances de 4 semaines en isolement total en chambre stérile,

  • 10 séances de radiothérapie sur le cerveau pour une dose totale de 18 Gray. A titre de comparaison, cette dose représente l’équivalent de 10 000 mammographies,

  • 8 prélèvements de moelle osseuses,

  • plus de 150 prises de sang,

  • une dizaine de transfusions (rappel : les dons du sang et des plaquettes sont importants, on croit trop souvent qu’ils sont destinés aux accidentés de la route. En réalité, tous ceux qui ont un cancer et qui sont traités par chimiothérapie en ont besoin).
  • J’ai utilisé aussi des hormones de croissance : Granocyte et EPO. La première favorise la lignée des globules blancs, je l’ai utilisée une seule fois au début pour sortir plus rapidement de la chambre stérile. La seconde, plus médiatique, célèbre pour ses vertus dopantes chez les sportifs, favorise la lignée des globules rouges. Ces derniers, nécessaires au transport de l’oxygène dans le corps, sont détruits par les chimiothérapies successives. La fatigue et les essoufflements apparaissent au point que l’alitement devient nécessaire, faute de quoi c’est l’évanouissement. L’EPO, je l’ai utilisée très souvent. S’il apporte une meilleure qualité de vie, par l’accélération de la production de globules rouges, il peut contribuer à accélérer la croissance des tumeurs. Je me suis donc attaché à trouver la dose minimum afin de limiter les risques et conserver une bonne qualité de vie. Les résultats de cette étude ont été appliqué à d’autres patients à l’hôpital.

    Remerciements

    Cette célébration est l’occasion de vous remercier tous, par vos actions durant ces cinq années. Sachez une chose : votre soutien a été essentiel. Si certains se sont investis plus que d’autres, chacun a contribué à sa façon, Parfois, seule une présence a suffi. Je me souviens d’un message : « Régis, je suis à deux doigts de détruire mon mail, j’ai honte de t’écrire que tout va bien ici et que ce n’est pas le cas de ton côté… » Ce message est arrivé à un moment où j’en avais besoin. Il m’a fait un bien fou. En effet, c’est l’intention qui compte, même si pour l’auteur, il n’a pu estimer l’effet bénéfique d’un mail lorsque j’étais isolé ou, encore, le bienfait d’une parole, d’un sourire, d’un geste même anodin de retour à mon travail ? Vous avez été si nombreux qu’il a suffit d’un rien de vous pour provoquer ce flux continu et positif, cette brise tropicale, cet alizé qui m’a permis de me battre et d’être présent aujourd’hui parmi vous.

    Je voudrais tout d’abord remercier Claire qui s’est démenée pour me procurer une connexion internet ainsi qu’un accès à l’intranet de l’entreprise, depuis l’hôpital. Cette connexion m’a permis d’être l’un des premiers à avoir un ordinateur portable raccordé à la toile avec webcam dans une chambre stérile, d’avoir accès au savoir médical, d’avoir un site web sur lequel beaucoup d’entre vous sont venus prendre des nouvelles avant de me contacter. Depuis, beaucoup d’autres patients ont suivi la même démarche.

    La première semaine, j’ai reçu 180 mails. Patrice, te souviens-tu ? Tu m’avais écrit : « il va falloir te battre… » Ce message est resté longtemps une interrogation. Se battre est facile, encore faut-il que l’adversaire soit identifié. Dans mon cas, il était logé en moi et bien abstrait. Comment faire ? Il m’a fallu des mois pour comprendre la forme de mon combat.

    Un matin, Jean était arrivé en avance à une réunion. Il m’a écrit : « Je profite du calme pour penser à toi. Hier j’ai eu une profonde admiration pour cette équipe de foot qui à chaque fois qu’elle marquait un but, brandissait le maillot de Christophe Pignol en scandant – ce but est pour toi ! Il a une leucémie comme toi depuis quelques mois. Quel soutien ! »

    Une autre fois, alors que je venais de publier mon étude sur l’EPO et sur la découverte de la bilirubine, facteur aggravant de mes nausées, Jean m’a écrit, : « Tu mérites le projet Six Sigma de l’année ».

    Tous vos messages m’ont fait du bien. Quel plaisir de les découvrir, de les lire, et, plus tard, de pouvoir les relire ! Tenez, par exemple, celui de Nicole : « Régis, t’es génial, quel combat ! Comme je t’admire ! Je ne sais pas comment j’aurais fait si j’avais été à ta place… »

    Je voudrais aussi remercier Caroline qui a assuré la communication auprès de vous, lorsque j’étais au plus mal, lorsque je ne pouvais plus me lever. Merci Caroline. Merci aussi d’avoir rebondi sur ce mail qui faisait état de mes inquiétudes sur la décalcification de mon squelette le rendant aussi âgé qu’une personne de 80 ans : « je connais quelqu’un qui peut t’aider… » j’ai pu ainsi rencontrer le professeur de l’hôpital Cochin pour en savoir plus.

    Merci à Bénédicte et à Laurent, pour leurs nombreux mails retraçant la vie quotidienne de l’équipe.

    Mais aussi à tous ceux que j’ai rencontrés depuis, de près ou de loin, et qui m’ont dit : « Je suis content de te revoir en aussi bonne forme, comme tu as bonne mine ! » ou « Je suis content que tu sois là. »

    Bien sûr, il est impossible de lister tous les bonheurs que j’ai pus avoir grâce à vous. Je vous remercie de tout cœur.

    Pour Conclure

    Vous, qui avez la chance de travailler dans le domaine médical, je voudrais vous dire : « Soyez fiers de ce que vous faites. Sachez que vous apportez une contribution significative à sauver des vies ». Lorsque je vous ai invité, je vous ai glissé une photo.

    C’est une photo prise, il y a 9 années, à la radiothérapie, juste avant la vente de la division à Varian. Nous venions de terminer le collimateur multi-lame, un projet qui a permis de mieux cibler les tumeurs, tout en épargnant les tissus sains. Ce projet reste aujourd’hui une de mes plus grandes fiertés. Sur les treize exemplaires installés en Europe, il en reste encore dix, qui traitent 80 patients par jour chacun. J’ai vraiment été fier de travailler à la radiothérapie. Surtout, imaginer un peu : j’ai bien connu les machines pour avoir développer la partie logicielle. J’ai participé aussi à leurs campagnes de tests. Ce qui m’a fait tout drôle, c’est de monter sur l’une d’elles pour mon traitement, c’est de lire sur les écrans mon nom et non celui d’un jeu de tests standard, de voir le personnel soignant sortir de la salle juste avant l’irradiation. Entendre la porte blindée se refermer, retrouver le bruit des relais de puissance entendu mille fois pendant les campagnes de tests. Seul, un point m’était inconnu : l’irradiation avec la sensation de voir une vague lueur bleue même les yeux clos et sentir une odeur d’ozone

    De cette expérience, j’ai retenu aussi la notion de fiabilité des machines et leur implication sur la vie des patients. Pour effectuer les séances quotidiennes de radiothérapie, il faut prendre le taxi, affronter les deux heures d’embouteillages qui nous sépare de l’hôpital, endurer la fatigue, s’arrêter quelque fois le long d’un trottoir pour vomir, puis arriver et se rendre compte sur place que la machine est en panne et que je n’ai d’autre solution que de revenir le lendemain.

    Oui ! Je suis fier d’avoir travaillé à la radiothérapie, car elle est l’un des maillons de ma guérison. J’en suis fier, même si toutes les micro-doses répétées, que j’ai reçues lors de l’expérimentation de ces machines, sont fortement suspectées d’être à l’origine de ma maladie. Après enquête par la Sécurité sociale, ma leucémie a été reconnue comme maladie professionnelle. Pourtant je n’ai jamais dépassé les doses réglementaires.

    Cette mésaventure m’a fait revenir à l’essentiel. J’ai appris à redécouvrir les petits instants de bonheur qui remplissent notre vie : en famille, avec les enfants, avec mes amis, avec vous… Il m’arrive aussi de participer à un événement original, simplement pour un clin d’œil à la vie, en me disant : « je vis ! » L’un de ces événements mémorables fut celui de la Parisienne, une course à pieds exclusivement réservée… aux filles. Ce fut vrai bonheur de courir parmi 9000 gazelles. Edgar Morin résume cela de cette manière : « on sacrifie trop souvent l’essentiel à l’urgent. »

    Voilà ! Quel plaisir de célébrer la vie avec vous, de souffler ces 5 bougies, de montrer que la guérison existe pour ce genre de maladie. Il y a 5 ans, le 22 mars 2001, je fêtais mon premier jour de rémission après un « reset » (destruction totale) de ma moelle osseuse avec une chimiothérapie très agressive. Ma moelle s’était mise à repousser « propre », comme avant d’être malade. Depuis il a fallu l’entretenir régulièrement par d’autres chimiothérapies. Comble du hasard, ce premier jour de rémission est tombé exactement le jour de mon anniversaire. Je fête donc par la même occasion mon anniversaire.

    Merci pour tout.
    Buc le vendredi 24 mars 2006, 15 heures.
    >>> Album photo

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