Montrer la voie...

Bullion, dimanche 28 août 2005.

Il fait très froid ce matin. En arrivant au travail, en ce jeudi 3 février, je découvre le message électronique de Christophe. Outre le fait qu'il a une leucémie aiguë, qu'il marche lentement pas à pas sur mes traces comme un alpiniste parti l'assaut d'un sommet, ce qui le distingue des autres internautes jusqu'ici, c'est qu'il vient de passer deux mois dans cette chambre stérile, celle qui m'avait accueillie quatre années auparavant. En quelques phrases, il me remémore son ambiance : le défilé du personnel soignant du Docteur Raffoux, dans leurs habits de "cosmonaute". Il me rappelle les visites du professeur Degos, le samedi matin, ce petit monsieur en costume cravate au milieu d'une envolée de blouses blanches. Et par la vitre qui donne sur la cour, le va-et-vient continuel des visiteurs venus effectuer une pause cigarette en haut de l'escalier de l'immeuble d'en face.

Christophe avance donc pas à pas dans son traitement. Ce qui l'intéresse particulièrement ce sont les courbes que j'ai effectuées. Jour après jour, il trace les siennes et les compare aux miennes. Il me les envoie afin que je les commente. Quelle récompense d'avoir écrit quelque chose d'utile! Ses graphiques ont un profil analogue aux miens. Christophe met juste un peu plus de temps à reconstruire ses globules et donc à se remettre des chimiothérapies. Qu'importe, on lui a aménagé son protocole. L'essentiel est qu'il continue son ascension. Existe-t-il vraiment un sommet là-haut ? Ai-je repris mon travail ? Telle est sa préoccupation. Le ton est donc tout trouvé pour cette nouvelle chronique : Montrer la voie, assurer que la réussite est possible, avec patience, avec persévérence... malgré le déluge.

Pour redonner l'espoir à ceux qui peuvent le perdre, je me suis inscrit à la liste de distribution "médicaliste". J'avoue que le parcours de certains a de quoi faire perdre le moral à plus d'un. Après plusieurs rechutes, ils sont toujours là les brougres, à combattre. Je les admire et leur tire mon chapeau en me disant que j'ai eu bien de la chance dans mon malheur. J'ai eu la chance aussi d'avoir eu une équipe de "sherpas" et de "porteurs" fidèles, compréhensifs, sur lesquels j'ai dû compter à nombreuses reprises. Sans eux, l'ascension de "mon" Everest aurait été purement impossible. A cette occasion, je rends hommage à Chantal (la maman d'Anne-Charlotte, une amie de Bullion) qui s'est dévouée, quinze ans durant, pour les malades en phase terminale, à l'hôpital de Bris-sous-forge. Avec la souffrance de tous ses patients, la charge a-t-elle fini par être trop lourde pour elle ? Lorsque mon traitement me permettait de sortir de la maison, je la rencontrais de temps en temps, au hasard de mes promenades de convalescence, à la sortie de l'école où nous attendions les enfants, ou encore à la "Ferme du bout des prés". A chaque fois, c'était un plaisir de se poser un moment et de parler. C'est à ces moments précis que j'ai commencé à mieux la connaître, à apprécier sa chaleur, sa générosité, sa simplicité. Chaque fois, elle me demandait de mes nouvelles, chaque fois elle était heureuse de voir mes progrès, saluant au passage mon combat. Au cours de ces conversations, j'avais découvert son univers, l'hôpital, son assistance auprès des malades, ses accompagnements aussi, car la guérison n'est pas toujours au rendez-vous. C'est pourquoi ses encouragements je les ai pris comme une chance. Aujourd'hui je ne peux les oublier. Je ne peux l'oublier. Chantal a mis fin à ses jours en avril dernier. Si cet acte, nous le regrettons tous, la cérémonie à l'église de Limours, reste pour moi la plus belle de toutes et la plus touchante par son authenticité, par son improvisation. Montrer la voie... Donnez pour recevoir... Tant de personnes présentes, tant de choristes pour témoigner leur amour, leur reconnaissance, d'une seule voix !

Lorsque Marie-Caroline m'avait envoyé un message m'indiquant que son beau-frère, atteint également d'une leucémie, s'apprêtait à partir au ski après quatre années de rémission, je ne croyais guère pouvoir un jour en faire autant. C'était en décembre 2001. Elle avait ouvert une voie, elle m'avait montré le sommet. Je le pensais inaccessible jusqu'à ce que je chausse mes planches, en fevrier 2005, en compagnie de mes enfants, de Françoise, d'Eric, Carole et leurs filles, aux Carroz d'Arache.

De droite à gauche: Solène, Marion, moi et enfin Théo.

Le 16 avril, la salle polyvalente acceuillait de nombreux Bullionnais venus à la rencontre de Robert Paragot et assister à la projection de l'ascension du Makalu, sommet de l'Himalaya central. Robert, enfant du village, né en 1927 aux Carneaux, nous a fait revivre ses exploits de 1954 avec l'escalade de l'Aconcagua dans la Cordillère des Andes et ceux de 1971 avec les 8481 mètres du Makalu, sommet situé à 20 km à vol d'oiseau de l'Everest, toit du monde. Une plaque commémorative orne désormais l'entrée de la salle qui porte maintenant son nom. J'ai retenu de cette projection, outre la taille impressionnante de l'expédition (près de 500 personnes, 50 tonnes de matériel environ, un véritable assaut de la montagne), la sonorisation omniprésente de l'essoufflement des hommes et du bruit de leurs chaussures dans la neige et la glace. Un essoufflement croissant à mesure de l'ascension, dû à l'altitude, au manque d'oxygène. A 7000 m, c'est 25 % d'oxygène en moins. Et ces hommes qui continuent à monter lentement, pas à pas, d'une cadence rythmée malgré l'effort, le froid. Je vis pleinement ces moments là. Ils me rappellent mes chimiothérapies avec la perte de mes globules rouges. De retour à la maison, j'ai vérifié que mes niveaux avaient été similaires sur les courbes que j'avais effectuées pendant mon traitement. J'étais même allé jusqu'à 40% dans les moments les plus difficiles. Mais là, impossible de fournir le moindre effort (juste le temps d'aller faire pipi et retourner au lit).

Avec le retour du printemps, j'ai repris mon activité professionnelle, à temps plein cette fois. Non ! C'est loin d'être un poisson, même si c'était le1er avril. Cette nouvelle devrait faire plaisir à Christophe et à vous tous.

En juin, j'ai eu ma consultation avec le docteur Raffoux. La dernière remontait en janvier. Après vingt mois sans aucun traitement, je continue à me porter à merveille. Les analyses de sang sont excellentes. Je me plains juste d'un rétrécissement du champ visuel depuis quelques semaines et d'une baisse de l'ouïe. Avec les dix séances de radiothéapie de l'encéphale, rien de bien surprenant. Un suivi auprès de spécialistes est programmé. Je continue les prises de sang tous les trois mois. Prochaine consultation en janvier 2006. Les suivantes auront lieu tous les ans.

En juillet, je rencontre Raymond à la suite de mon footing bi-hebdomadaire. Je suis à Pousseaux, situé le long du canal du Nivernais à quelques kilomètres de Clamecy, dans la Nièvre. Debout à côté de son vélo, Raymond regarde passer les bateaux, le temps que le pont levis soit rabaissé. Moi aussi j'envisage d'aller sur l'autre rive. Arrivé à sa hauteur, je patiente près de lui. Raymond amorce la conversation alors que je suis en train de consulter ma performance et mon temps de récupération: 12 km en 56 min 46. Après le sprint de 500 mètres ma fréquence cardiaque passe de 185 à 135 en 3 minutes. "Vous avez un cardio?" Je réponds par l'affirmative. Puis il enchaîne: "Pendant l'effort vous montez à combien ? Et au repos ? Vous courez longtemps ? Depuis quand ? Visiblement il connaît le sujet. Petit à petit, il me parle vélo, son sport favori, lorsqu'il était jeune. Aujourd'hui il pratique le VTT dans les chemins : "c'est moins risqué que sur la route avec toutes ces voitures pressées". Il ajoute qu'il utilise aussi un cardio : "par simple mesure d'hygiène", me dit-il. Le VTT, comme pour moi le footing, est une souffrance nécessaire. Raymond m'apprend qu'il a été très gravement malade : une maladie au reins qui s'est traduite par une anémie sévère, des complications hépatiques... A chaque détail qu'il fournit, il est surpris par ma connaissance du sujet. Je finis par lui avouer ma leucémie. Nous échangeons nos symptômes et nos nombreux effets secondaires communs : essoufflements, yeux jaunes, douleurs dans les articulations... Quant à la forme de nos combats respectifs, nous arrivons à la même conclusion : l'activité sportive tient une part de lion dans la guérison.

Août est le temps des vacances. Elles sont sportives cette année. D'ailleurs, elles nous laissent très peu de temps à la rédaction de mon journal. Je vous glisse donc des photos, le carnet d'aquarelles de Françoise. La première semaine, nous la consacrons à la descente de la Loire, en canoë et kayaks entre Nevers et Pouilly-sur-Loire. Un périple de cinq jours et quatre nuits en complète communion avec la nature. Les paysages sont magnifiques et me rappellent mes randonnées dans les grands espaces canadiens. La Loire, que l'on annonce comme le "dernier grand fleuve sauvage d'Europe", mérite bien son appellation ! C'est certain, nous y retournerons. Voir album photos et carnet d'aquarelles.

La deuxième semaine, plus sportive encore, est réservée au vélo. Trois jours le long du canal du Nivernais entre Decize ( point où nous quittons la Loire pour remonter l'Aron) et le kilomètre 160 (destination située à proximité d'Auxerre). Pour la petite histoire, lorsque j'étais enfant, je passais mes vacances en Bourgogne, dans le village de Vincelles. J'avais remarqué une borne kilométrique le long du canal. Il y était inscrit "160" et, en dessous, "kilomètres de la Loire". L'Yonne, qui longe le canal à cet endroit, se jette dans la Seine. Habitant à Aubergenville dans les Yvelines, la Seine, je connaissais. Mais la Loire ? Qui avait-il au kilomètre zéro ? Par où le canal passait-il pour rejoindre la Loire puisque l'Yonne ne prenait pas sa source dans la Loire ? Autant dire une expédition longtemps attendue : quatre jours et trois nuits en camping sauvage. A l'arrivée, nous avons rejoint les Diard avec lesquels nous avons descendu la Cure en canoë, il y a deux ans maintenant. Voir album photos.

La dernière semaine est une semaine de repos. Enfin quand je dis repos, c'est pour les enfants et moi, car Françoise a débuté sa fresque à la salle polyvalente. A suivre...

J'espère que vos vacances ont été aussi dépaysantes que les nôtres. Merci pour vos cartes postales. Dans quelques jours la rentrée...

A bientôt

Régis

Retour