L'arrivée, enfin !

Bullion, le vendredi 31 octobre 2003,

Huit heures, Michel mon taxi arrive sur la place pour la dernière chimiothérapie. La dernière, j'ai encore peine à y croire. L'hôpital de jour est fermé durant le mois d'août. Et comme s'il fallait reboucler avec le début de ma maladie, j'ai rendez-vous ce jeudi 28 août dans le service Myosotis 3, le service qui m'avait accueilli. La circulation est fluide ce matin et nous arrivons avec plus d'une heure d'avance. Michel reviendra me chercher cet après-midi. Pourtant la chimiothérapie ne devrait pas prendre beaucoup de temps, je n'ai qu'une seule injection ce matin. Mais il a raison : combien de fois ai-je pensé rentrer en début d'après-midi, alors que j'ai vu mon retour repoussé vers 17 heures ? Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur l'étage de Myosotis. Je reconnais aussitôt l'indéfinissable odeur qui le caractérise. Je franchis le sas d'entrée. Difficile de l'oublier celui-là, ses deux portes s'ouvrent successivement grâce à de gros boutons noirs que l'on actionne avec le pied pour conserver les mains propres et limiter la propagation de germes. Je retrouve le bruit familier de la ventilation et ses imposantes conduites fixées au plafond. Les infirmières fourmillent déjà dans les couloirs. Leur journée est commencée depuis longtemps. Certaines terminent même leur nuit car les malades sont en long séjour ici. Je me présente à l'accueil. La surveillante qui se présente à moi, me conseille d'aller prendre un café en bas à la cafétéria, en attendant l'heure de mon rendez-vous. Je tourne les talons mais préfère sortir dehors.

Je m'assieds sur mon banc habituel. Je suis là mais mon esprit est ailleurs, la tête encore pleine de souvenirs de vacances : retrouvailles d'amis, randonnée en canoë, promenades en vélo, baignades, visites... Que fais-je ici ? Je me souviens que lors de mes premiers jours d'hospitalisation, les infirmières m'avaient parlé d'un canal passant à proximité. Je l'ai aperçu à une ou deux reprises par la suite alors qu'il nous arrivait de nous égarer Michel et moi dans les rues embouteillées aux alentours de l'hôpital. Ne connaissant pas bien Paris, je décide d'y faire un tour. Je sors dans la direction qu'elles m'avaient indiquée à l'époque. Je descends la rue répondant au joli nom de La Grange aux Belles, tourne à droite rue de l'hôpital Saint-Louis et débouche sur le quai de Jemmapes. En effet le canal Saint-Martin n'est qu'à deux pas. Comme j'ai du temps, je décide de prolonger ma promenade jusqu'à l'écluse, juste après le virage. Là une passerelle permet de la surplomber. Il ne manque plus que l'ambiance du "réalisme poétique" : une rue populaire pittoresque longe le canal. Avec ses flaques d'eau et ses pavés humides elle reflète les lumières glauques de la ville. Dans les cafés avoisinants se croisent des marginaux, mauvais garçons, déserteurs ou prostituées, marqués par l'échec, en proie au mal de vivre et au désespoir. L'hôtel du Nord est là en contrebas, gris et étriqué. Il ne manque plus que la vie agitée de ses pensionnaires, d'Arletty scandant du haut de la passerelle son "atmosphère, atmosphère..." réplique célèbre du film de Marcel Carné en 1938 dont le titre à repris le nom de cet établissement. Je descends sur le quai Valmy et longe l'autre rive. Je traverse la route qui mène au pont pivotant, celui que nous avons pris une fois ou deux avec Michel. Pris par de fortes nausées, Michel avait dû s'arrêter en toute hâte non loin de ce dernier afin que je puisse vomir dans le caniveau. Je quitte le trottoir pavé pour entrer dans le jardin public couvrant le canal. J'en sors à l'autre extrémité, au carrefour du Faubourg du Temple. Le canal a définitivement disparu. Il loge maintenant sous le boulevard Jules Ferry, puis le boulevard Richard Lenoir, jusqu'à la place de la Bastille avant d'aboutir à la Seine par le port de l'Arsenal. Je n'ai pas le temps d'aller jusque là-bas, et puisqu'il a disparu, j'oblique par la rue de la Fontaine pour revenir par l'avenue Parmentier, avenue que j'ai souvent prise au début alors que j'effectuais mes déplacements en Ambulance. Je presse le pas pour ne pas arriver en retard.

J'arrive en nage. J'ai la chambre 14, celle que j'avais partagée avec Mr Oudiane, le boulanger lors de mon deuxième séjour. Il est décédé plusieurs mois après. Seul dans cette chambre double, je prends sa place comme pour mieux penser à lui. Mes pensées sont vite interrompues par l'infirmière qui entre et me salue. Elle me propose de me préparer mon cathéter pour l'injection, de la vincristine (Oncovin) me dit-elle sur un ton mi-affirmatif mi-interrogatif. Erreur, ce n'est pas ce produit que j'attends. Partie se renseigner, elle revient et m'assure que c'est bien ce produit qui a été prescrit par Philippe le médecin. Il n'est pas disponible ce matin. Je maintiens que ce n'est pas le bon produit. Nous en discuterons avec l'interne, en attendant, elle prépare la perfusion avec une base glucosée. Elle pique dans la chambre de mon cathéter qui se trouve juste sous la peau mais la manque. Elle lui a filé entre les doigts et a piqué à côté. Elle se confond en excuses mais je ne lui en veux pas, même si ce loupé est le premier du genre. J'en ai vu tant d'autres jusqu'ici : des veines qui tournent et échappent à l'aiguille, des veines qui claquent laissant un hématome, qui "collapsent" (qui se ferment sous la dépression provoquée par l'aspiration de la seringue), un cathéter qui se boucle... Bref, les aléas d'un métier dévoué aux patients que je ne voudrais pour rien au monde voir disparaître.

Vincent, 30 ans, pénètre dans la chambre et s'installe silencieusement sur l'autre lit. Parce que c'est Vincent, Christine l'infirmière vient spécialement s'occuper de lui. Ils se connaissent bien. Christine se souvient parfaitement de moi aussi. Bien qu'elle voie des patients tous les jours, elle resitue parfaitement ma chambre, la 22 avant l'isolement en chambre stérile. Sans que je le sache à l'époque, Vincent est arrivé en même temps que moi en février 2001. Comme moi, il a une leucémie aiguë lymphoblastique et nous approchons de la fin du traitement. Karine, blonde aux reflets roux, souriante et au regard malicieux entre et l'ausculte. Elle annonce qu'elle va lui pratiquer un myélogramme. L'atmosphère s'alourdit tout à coup. La mauvaise nouvelle tombe : il rechute. Karine a toutes les peines du monde à maintenir son enthousiasme. Grâce à la biologie moléculaire, le stade identifié lors de la séance précédente est encore précoce. Il faudra sans doute envisager une greffe de moelle. Une chance inouïe, son frère est compatible. Mais Vincent craque, ne se sentant pas prêt à refaire un tel parcours. Marié, il m'avoue qu'il mène une vie saine et en suppliant me dit : "qu'ai-je fais pour mériter cela ?" Aidé d'un autre interne, Karine prépare le matériel pour la ponction. Le bruit des petites plaques de verre que ce dernier dispose régulièrement sur la table, laisse un son sec et froid. Chacune d'elles va recueillir un peu de moelle qu'ils observeront au microscope. Il y en a au moins trente. Sans regarder, j'entends le "crac" du trocart, cette grosse aiguille qui transperce le sternum. Il produit un son analogue et désagréable à celui d'une carcasse de poulet que l'on tranche net. Vincent gémit. L'aspiration de la moelle commence mais Vincent souffre, obligeant Karine à ralentir le prélèvement. Je me revois soudain lors de ma première ponction. Le médecin m'avait dit : "chaque fois que vous me verrez ensuite vous me maudirez". Je ne l'ai pas revu, mais je garde l'image de cette seringue plantée juste sous mon nez, paraissant énorme et cette impression qu'on vous aspire les côtes, puis la cage thoracique. Vincent gémit encore. Cet examen pourtant très court habituellement, n'en finit pas. Les secondes se comptent en minutes. Les larmes aux yeux, j'ai envie de fuir. L'aspiration se termine avec un grand soulagement. Karine récupère la seringue remplie de la précieuse moelle et la répartit avec d'infinies précautions sur les plaques que son aide d'un geste vif étale avant coagulation. Pendant ce temps, le poinçon encore planté dans le sternum, Vincent halète puis panique. Je ne me souviens pas qu'on m'ait laissé ainsi. Il me semble plutôt qu'on m'ait retiré le trocart en même temps que la seringue. En huit examens de ce genre, je ne crois pas non plus avoir paniqué à ce point. Enfin, la torture est terminée et Vincent libéré. Il ne lui reste plus que son injection de chimio que Christine lui administre lentement dans le bras. Je constate qu'il n'a plus de cathéter mais n'ose le questionner. Assis dans le fauteuil, il est abattu. Christine lui dit doucement d'un ton complice : "n'hésite pas demande-moi si tu veux que je t'injecte de l'air". Partir pour l'éternité, combien de fois ont-ils dû aborder ce sujet ensemble ? J'y ai pensé aussi quelques fois lorsque je n'y croyais plus. J'avais même poussé le raisonnement à l'extrême, allais-je me faire enterrer à Bullion, incinérer et mes cendres jetées le long de l'Yonne ou allais-je donner mon corps à la science ? Questions restées sans réponses, car tout au fond de moi, il y avait encore ce petit quelque chose qui n'arrivait pas à s'y résoudre. Le regard de Vincent se rallume lentement accompagné d'un léger sourire. Non ce n'est pas encore pour cette fois. (Christine et Vincent sont des noms d'emprunt pour préserver leur anonymat en référence à Christine Malèvre qui a été condamné en appel à 12 ans de prison le 15 octobre. Elle avait compati à la détresse de malades arrivés en phase terminale de cancer incurable. Je fais référence à Vincent Humber tétraplégique condamné à vivre et ayant demandé à mourir. Il est décédé le 26 septembre 2003 à Berk-sur-Mer.)

Philippe, qui travaille sur le protocole LALA2000, a probablement oublié que je fais partie de l'ancien protocole. C'est lui qui m'a prévenu en juin que je n'aurai encore pas de pompe, le fabricant ayant déposé le bilan. C'est lui qui m'a demandé de prévenir mon pharmacien pour qu'il me procure l'Aracytine nécessaire à cette chimio. Je devais fixer aussi les rendez-vous avec Marie et Bernard pour les quatre injections à la maison. Aujourd'hui tout est prêt, j'ai l'Aracytine depuis hier et Marie passera aujourd'hui à 20 heures. Le pharmacien qui connaît mon histoire m'a juste dit que c'était une grosse dose. Je lui ai répondu par l'affirmative : j'allais être mal durant quelques jours. Reste donc l'Endoxan que l'on doit m'injecter aujourd'hui à Myosotis. Sur une copie du protocole que je lui tends, Karine constate effectivement l'erreur. Mais mon dossier étant resté à l'hôpital de jour, Karine se pose la question de la dose à m'administrer. Question de taille mais pour laquelle j'ai de nouveau la réponse dans mes documents. Il me faut 1 g/m². Reste à calculer la dose exacte en fonction de mes mensurations, soit 1,8 g. Me voilà branché avec le bon produit. Est-ce le monde à l'envers ? Devrais-je crier au scandale car ce n'est pas mon travail ? Probablement, mais je n'ai rien à gagner seul face à la maladie. Cette expérience montre une fois de plus qu'il faut agir en maître d'ouvrage, en chef de projet ou mieux en guerrier Mohawk, ces indiens réputés pour leur bravoure et férocité d'après Pierre un internaute québécois. Mon combat, véritable travail d'équipe s'appuie sur les talents de chacun. Et des talents ici, il y en a plein. Mais comme dans toutes les équipes il y a toujours un travail de fond en communication et en formation. Nous devons donc rester solidaires pour faire front. Neil Armstrong n'a pas marché tout seul sur la lune, toute une équipe talentueuse était derrière lui.

Nicole, cadre administratif, entre pour savoir si j'ai une objection à accueillir une dame dans ma chambre, faute de lits disponibles. Personnellement je n'en ai aucune, au contraire, je n'ai jamais eu l'occasion d'échanger mon expérience avec une femme ayant la même maladie. Nicole aussi se souvient parfaitement de moi, lorsque j'étais à la chambre 48, en chambre stérile. Elle était venue m'annoncer que la chambre était tombée en panne alors que j'étais en pleine aplasie et qu'il avait fallu me déménager dans la chambre voisine. Au début de sa carrière, les germes n'étaient pas aussi résistants aux antibiotiques qu'aujourd'hui. Elle a commencé avec le professeur Jean Bernard, hématologue de renom et premier médecin à établir en 1947 une rémission sur un enfant leucémique (voir annexe : Cancer Chronologie des découvertes). Je lui apprends que c'est ma dernière séance de chimiothérapie. Elle est ravie, car une fois les malades sortis de Myosotis, ils ont peu ou pas de nouvelles par la suite. Vont-ils toujours bien ? Difficile de savoir, mais avec ce genre de maladie, le pire reste envisageable.

Finalement c'est Alain qui prendra la place de Vincent. Il est tombé malade en décembre 2002, une leucémie myéloïde aiguë. Chez lui, je sens le frémissement du "patient acteur", patient qui commence à établir des mesures pour comprendre, qui réagit en consommateur même s'il s'agit de santé. Il s'informe, collecte les données pour établir des choix. Certes il ne s'intéresse pas encore aux produits qu'on lui injecte parce il n'a pas encore le recul suffisant. Mais je sens que nous sommes de la même trempe. Pour la consultation avec l'interne, il a préparé un tableau de valeurs. Il est souvent faible en nombre de plaquettes et demande à diminuer les doses. C'est une chose que nous faisons tous pour notre confort, oubliant parfois que la maladie peut en profiter. De ce point commun nous sommes entrés facilement en discussion. Dans son protocole est prévu un myélogramme. Karine s'active une nouvelle fois aux préparatifs. Mais là, je préfère continuer la conversation avec sa femme dans couloir car j'ai mon compte de sensations fortes pour la journée. Elle a travaillé au recrutement pour General Electric. Je me rappelle de cette période où l'entreprise avec une seule annonce, destinée à recruter quelques dizaines d'ingénieurs, avait récolté 800 candidatures qu'il fallait sélectionner rapidement. Ce score inattendu avait nécessité l'emploi de sous-traitants aux ressources humaines. Nous parlons de ses enfants et petit à petit nous revenons à Alain. A la fin de l'été 2002, elle préssenti qu'elle avait un mari malade. Il était toujours pâle, fatigué, les traits du visage tirés. Il travaille encore. Il a un poste à responsabilité et souhaite conserver sa place malgré le traitement. Je l'admire beaucoup car travailler avec une chimiothérapie lourde n'est pas donné à tout le monde, mais ne devrait-il pas penser à lui et profiter de ses proches ?

Avec Philippe nous devions discuter de la fin du traitement. Comme il n'est pas présent, j'ai pris rendez-vous pour une consultation deux mois plus tard, le 30 octobre. D'ici là je continue le traitement habituel composé de chimiothérapie ambulatoire (intercure).

Retour à la maison

Dès mon arrivée à la maison, je me suis précipité aux toilettes pour vomir. Difficile d'accepter de retomber aussi bas après tous les bons moments de cet été. Marie et Bernard sont venus comme prévu pour les injections d'Aracytine toutes les douze heures. Les jours qui ont suivi ont été les mêmes que pour toutes les chimiothérapies à l'Aracytine et Endoxan. Pour tuer le temps jusqu'au vingt-troisième jour, j'ai écrit. Les premiers jours pour conserver le moral et me changer les idées, j'ai développé du logiciel et tenter d'oublier la rechute de Vincent. Puis, à mesure que la chimiothérapie s'est éloignée avec ses nausées, j'ai répondu à mon courrier électronique et rédigé ma prochaine chronique. J'ai dû écrire trop cette fois. Les longues stations allongées au lit, immobile sur le dos avec l'ordinateur sur les genoux, m'ont coûté une douleur aux fessiers. Comprimés des jours durant, les muscles n'ont pas été assez irrigués de toute évidence. La douleur a été si vive que j'ai été obligé de me mettre à plat ventre malgré mes côtes qui , endommagées par la randonnée canoë, me font encore mal. Pendant une semaine, j'ai dû me lever droit comme un i et marcher raide comme un bout de bois sans pouvoir me plier.

Mercredi 10 septembre (J13), la prise de sang devrait révéler un niveau d'hémoglobine voisin du seuil de transfusion. Lors de l'analyse effectuée le 13 mars 2002, j'avais noté qu'il me fallait 15,2 g/100ml la veille de la chimiothérapie (J-1) pour affronter la perte des globules rouges sans transfusion. Pour cela j'avais anticipé la séance par de l'EPO pris 3 semaines avant. Mais au mois de mai dernier, je n'avais que 14,2 g/100 ml à J-1, n'ayant anticipé que de 2 semaines au lieu de 3. J'étais inquiet mais à ma grande surprise, je ne suis descendu qu'à 9 g/100ml, soit 1g au-dessus du seuil de transfusion. POur cette dernière chimiothérapie, j'ai renouvellé l'expérience avec seulement 13 jours d'anticipation. J'étais si bien en vacances que j'ai oublié deux jours durant la date de reprise de l'EPO. Du coup je suis arrivé à J-1 avec 13,9 g/dl. Aurai-je droit à une transfusion ? D'après ma synthèse du 27 janvier dernier, je dois perdre entre 40% d'hémoglobine (soit descendre à 8,3 g/100ml) et 50% selon la configuration la plus conservatrice (soit à 7 g/100ml à 95 % PI : c'est à dire 95% de chance sur l'intervalle de prévision). Finalement j'ai eu 7,9. Si l'on considère une erreur de 1% sur la chaîne de mesure (c'est une machine automatisée précise), je suis pile sur le seuil de transfusion. Je décide de ne pas me faire transfuser mais croise tout de même les doigts pour ne pas m'être fourvoyé dans mes calculs car la semaine suivante, je dois en perdre encore 10% dans le cas le plus défavorable. Même si je n'atteins pas ce niveau, je garde en souvenir de ma descente à 6,3 en juin 2001. Les pulsations cardiaques au réveil étaient entre 90 et 100 par minute.

Pour cette dernière chimio, je décide de suivre de près mes pulsations. La figure suivante montre l'évolution des pulsations cardiaques en fonction des jours écoulés depuis la chimiothérapie (J0). A J13, j'ai donc 7,9 g/100ml d'hémoglobine et mon coeur bat à 84, les jours suivants les valeurs ont fluctuées allant jusqu'à 86 à J19 sans effleurer les 90. De J14 à J17 j'ai eu très mal à la tête. Après la tendance s'est inversée, ouf !

Durant cette période les plaquettes ont été particulièrement basses : 49 000 /mm3 à J13. Puis elles sont remontée à 480 000 à J27, soit près de 10 fois plus qu'à J13 : incroyable ! A J27 le niveau de bilirubine est anormalement bas. Pour la première fois depuis longtemps, il me contraint à prendre les intercures à dose normale. Du coup je suis fatigué avec des nausées vendredi, samedi et dimanche. Comble de malchance la fréquence des prélèvements étant de 15 jours, je suis obligé de renouveler l'intercure la semaine suivante. A J41, la bilirubine reste toujours aussi basse et je dois continuer avec la même dose pour 15 jours encore. A J48, je craque et décide de reprendre 1/2 dose pour souffler un peu et puis la fin du traitement approche. Une dose aussi forte a-t-elle encore un sens ?

J'ai acheté un podomètre

Avoir une leucémie soulève bon nombre de questions : pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour en arriver là ? Elle a donné un autre sens à ma vie, comme un électrochoc. Depuis je fais plus attention à moi, en particulier j'ai adopté les quatre principes de base pour une bonne hygiène de vie :

L'activité physique est efficace pour entretenir la forme musculaire et la souplesse des articulations, mais aussi pour faire baisser la tension, maintenir une perte de poids, contrôler un diabète, réduire le risque d'ostéoporose... Sans parler du bien être psychologique et de son effet antistress. Un peu d'exercice chaque jour est plus utile pour la santé que beaucoup d'activité une seule fois par semaine. L'idéal est une dépense de 2 000 kilocalories par semaines :

Mais toute activité sportive n'a pas le même intérêt pour la santé. Les activités en endurance (intensité modérée mais prolongée) sont les plus bénéfiques pour le système cardiovasculaire : marche rapide, vélo, natation, jogging, golf... Désireux d'évaluer mon activité physique, j'ai acheté un podomètre. En trois semaines, le résultat est accablant : une banale journée de travail ne produit que 3 700 pas en moyenne. Pourtant je gare ma voiture assez loin, j'évite l'ascenseur, limite le téléphone aux seules personnes à l'extérieur de l'entreprise, évite les E-mails et préfère me déplacer... Actuellement, je n'atteins cet objectif que le vendredi, lorsque j'emmène les enfants à l'école (matin midi et soir). Conclusion : 10 000 pas quotidiennement (6,66 km environ), c'est vraiment beaucoup ! Je comprends donc les médecins qui qualifient notre société de sédentaire, la voiture y étant pour beaucoup.

Les sorties

Dimanche 28 septembre, gloire à la sédentarité ! Nous sommes allés aux 24 tours de Rambouillet pour ma première sortie depuis ma dernière chimio. Hervé aurait souhaité me prêter sa Traction 15ch/Six pour que je participe au défilé. Mais cette année le plateau des voitures exposées est particulièrement impressionnant par leur âge et leur rareté : De Dion Bouton, Brush, Le Zèbre, Bugatti, Darracq, Brasier, Bedelia, Ford, Delonay Belleville... Autant dire que la Traction d'Hervé n'est pas la bienvenue. Certaines datent de 1898, d'autres de 1904, 12, 18 ou 34. J'adore cette époque. J'adore leur mécanique spartiate et le génie de leurs créateurs. Certaines voitures affichent sans complexe leur millionième kilomètre. Ah ! Si j'avais plus de place à la maison, d'autres voitures auraient déjà pris place à côté de notre Juvaquatre (>>>> voir album de photos).

Depuis que je suis malade, j'ai de plus en plus de scrupules. Les fumées de ces grands-mères m'incommodent de plus en plus. D'ailleurs même les voitures d'aujourd'hui m'incommodent. Si à l'époque les épiciers des rues passagères se satisfaisaient des fumées de voitures à pétrole, faisant d'après eux fuir les insectes, elles nous piquent les yeux et nous irrite la gorge aujourd'hui. Nous polluons, nous surproduisons du C02 et nous réchauffons notre planète inconsidérément. En un an, le parc automobile de Pékin vient d'augmenter de 77%. Que dire de l'Inde et des autres pays en pleine expansion ? Si je dois développer cette passion pour les vielles autos, je souhaite la canaliser sur les autres types d'énergie : la propulsion électrique, le moteur à hydrogène et que sais-je encore. Retrouver les constructeurs de l'époque, redécouvrir leurs avancées technologiques et bien sûr leurs échecs puisque nous sommes restés à l'ère du tout pétrole.

Mardi 30, j'ai repris le travail après trois mois d'absence (1 mois de chimio, un moi de vacances, un mois de chimio). Je vis sur un nuage avec mon temps partiel. Dans un mois mon traitement prend fin et je dois penser à mon retour. Durant tout l'été, j'ai avancé sur le développement du web serveur de la gestion du matériel. Il est possible d'entrer tout type de composant, de les ordonner par catégorie, de gérer les droit des utilisateurs, je viens de terminer la recherche par numéro de série et par utilisateur... Reste la gestion des contrats d'achat, de location ou de prêt que je viens d'entamer, puis la gestion des configurations et l'édition des rapports.

Samedi 4 octobre, Brigitte fête ses 40 ans. Nous ne nous sommes pas revus depuis juin 2002 chez Gilles et Martine (qui a fêté ses 40 ans au printemps). Pourtant les occasions n'ont pas manqué, mais soit leur fille Mauranne était malade soit mon traitement me l'interdisait. Pour être sûr que je vienne, elle connaissait ma disponibilité les mois pairs et pour affiner la date, elle a lu attentivement mes chroniques sur le web, sans rien me dire. Nous avons rendez-vous dans le Perche à La Rouge, village non loin de La Feté Bernard. Réjane et Thierry nous ont emmenés. Le voyage pourtant court, deux heures au plus, m'a fatigué. Avant de nous rendre à la salle des fêtes, nous déposons nos bagages à la Gaudrière, lieu où nous passerons la nuit. C'est une magnifique longère refaite à neuf dans le style du pays, comprenant un vaste séjour avec cheminée et four à pain, trois chambres avec chacune leur salle de bain, une cuisine et un immense jardin agrémenté d'un potager et d'un verger remarquablement entretenu. En sommes une maison de rêve que l'on aimerait avoir pour soi et qui est exclusivement réservée aux amis. Les propriétaires habitent la maison d'à côté. Je m'y repose agréablement, le temps que les filles se préparent. Mes nausées sont toujours présentes et je sais maintenant que ce n'est plus la voiture, mais les comprimés de chimio, pris à pleine dose, il y a deux jours. En fait, elles disparaîtront avec le cocktail et les petits fours que Brigitte et Yves nous ont préparés pour l'ouverture de cette soirée. Nous retrouvons Martine, Gilles et Jean-François. Au menu carpaccio de saumon et mousseline de poireaux, confit de canard... et gâteau d'anniversaire. Le menu était gargantuesque mais pour digérer rien de tel que la danse. Nous nous sommes couchés à 3 heures. Puis lever avec des croissants chauds que Brigitte nous a déposés vers dix heures. Mauranne, qui a veillé très tard, est déjà debout un peu grognon. Elle a beaucoup grandi depuis notre dernière rencontre chez Martine. Elle a le visage de son papa et c'est une vraie pipelette, un peu comme sa maman. Cette année, elle est entrée chez les "moyens rouges" à l'école maternelle. Sa classe se situe tout en haut d'un grand escalier... A la suite du brunch, nous nous décidons à rentrer sur Paris et quitter ce décor de rêve après avoir remercié Brigitte, Yves et le propriétaire des lieux. Il a d'ailleurs insisté pour nous faire visiter sa maison, une maison sortie tout droit de la rubrique "Prestige International" d'une brochure immobilière et dont l'annonce pourrait être : "Propriété d'exception du XIIXème aux prestations très haut de gamme, environ 1000 m² habitable, grands volumes de réception, vastes suites individuelles, sur un parc de 40 hectares en partie arboré avec rivière, maison de gardien et nombreuses dépendances. Prix : nous consulter". (>>>> voir album de photos)

Samedi 11, Françoise ayant maintenant 21 élèves à ses cours de peinture, travaille ce matin. Les enfants et moi décidons de partir avec Laurence à la piscine. Si Françoise et Laurence nagent habituellement leurs deux kilomètres, je n'ai pas été très efficace. Trois mois sans natation m'ont beaucoup coûté. J'ai tout de même réalisé à ma grande surprise trois longueurs de 25 m en apnée. L'après midi nous aidons Tonton Jacques à ramasser les noix de son jardin. Des vingt kilos qu'il nous a donné l'année passée, il ne reste plus rien et nous attendions avec impatience la nouvelle récolte. Mais celle-ci s'est avérée bien maigre du fait de la canicule. Dimanche, première compétition de Judo pour Théo. Il a ramené une médaille.

Les jours suivants ont filé vite. Avec la fin du traitement en vue, j'ai mille projets en tête, moi qui n'en faisais plus. J'ai besoin d'espace, je me sens à l'étroit dans notre maison. Pourquoi ne pas changer ? Une vaste maison à deux pas va se libérer. Nous faisons estimer notre maison, nous visitons les banques. Le projet promet d'être difficile : on prête à ceux qui sont en bonne santé. Nous consultons le notaire, au cas où il m'arriverait quelque chose, mieux vaut être prévoyant pour Françoise et les enfants. En parallèle, j'ai lancé la première version de mon livre. J'y travaille d'arrache pieds depuis cet été. Neuf personnes le relisent actuellement, profitant des vacances de la Toussaint. Il y a aussi les hasards d'Internet, les retrouvailles avec Eric Colas un ancien de la Radiothérapie, qui en entrant son nom dans un moteur de recherche est arrivé sur mon site. De nouveaux internautes comme Pascal qui cherchait des informations sur Six Sigma, comme Gabriel Foglia à la recherche de ses racines du côté de Turin en Italie (sommes-nous cousins ?) ou encore Pierre, le Québécois, pour des calculs rénaux et qui me qualifie de guerrier Mohawk. Au travail, Pierre, le joueur d'échecs, nous quitte le coeur serré pour de nouveaux horizons. C'est sûr nous resterons en contact, peut-être pour une partie, en souvenir de ses précieux conseils lorsque j'étais en chambre stérile et que je jouais avec Steven par E-Mail interposés. Il y a aussi les contacts pris avec le professeur de Munich pour la neuroacanthocytose d'Olivier. J'assure la traduction. Samedi 18, Françoise expose ses peintures à Bonnelles Nature. Nous avons fait la connaissance de Régine l'amie d'Olivier. La semaine suivante, nous passons quatre jours en Bourgogne en compagnie de mon frère, ses enfants et mes parents. Un nouveau projet immobilier ? Peut-être...

Encore 3 jours, puis 2, 1... Zéro. Le traitement prend fin. Quel soulagement ! Youpi !

Prochaine consultation : le 20 novembre, celle du 30 octobre ayant été reportée.

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