Une fête bien méritée

Bullion, lundi 30 août 2004.

Nouveau défi

Depuis la fin du traitement, en octobre dernier, je me sens mieux dans mon corps. Je nage deux heures et cours quatre kilomètres par semaine. Je retrouve la souplesse et la mobilité d'avant. Moralement, je vais bien. La peur de rechuter existe toujours, mais semble s'estomper de mois en mois. En février dernier, j'avais décidé de relever un nouveau défi, celui de vous remercier tous, de vive voix, pour le soutien que vous m'avez apporté, durant ces trois années. Moi qui ne faisais plus de projet, je m'en étais fixé un pour le mois de juillet. Mais ces cinq mois m'avaient semblé loin : "Serai-je encore là ?" m'étais-je dit lorsque j'avais marqué d'une croix la date du 10 juillet sur le calendrier. Voyez comme la peur de rechuter me tenaillait encore ! La fin du traitement en octobre aurait dû me réconforter sur mon avenir. Au contraire, le traitement, pourtant si lourd à supporter, avait joué un rôle de béquilles : sans lui, j'avais peur de tomber. Chaque mois, j'ouvrais avec angoisse l'enveloppe contenant les résultats de ma prise de sang mensuelle, m'attendant à l'explosion du nombre de mes globules blancs : la rechute. Chaque mois, je refermais l'enveloppe avec le même "ouf" de soulagement : "ce n'est pas encore pour maintenant". Petit à petit, j'ai repris confiance. Comme finalement tout allait bien, c'était l'occasion de célébrer cela et vous remercier tous. Mon E-fanclub compte aujourd'hui 347 membres. Que faire ? Quelle salle réserver ? Celle de Bullion était en travaux. J'ai opté finalement pour celle de Sonchamp, pourtant beaucoup plus petite. Pour résoudre le problème de taille de la salle et du nombre d'invités, pourquoi ne pas faire deux fêtes ? Une à Sonchamp, avec la famille et les amis, l'autre à mon travail avec tous mes collègues. Pour la fête avec mes collègues, je l'avais envisagée le mardi 16 juin (jour de ma fête), mais pour des raisons de planning (rattrapage du temps perdu : depuis février, tous nos week-ends étaient réservés jusqu'en juillet, donc peu de moments disponibles pour organiser ces deux célébrations),je l'ai reportée à plus tard. A suivre...

Elans créateurs

A tort ou à raison, je n'ai jamais cru nécessaire le soutien psychologique, durant mon traitement. Pourtant, c'est en essayant de comprendre la situation de mon oncle, que j'ai compris beaucoup de choses sur moi-même. Il fait une dépression suite à un cancer des glandes salivaires. Physiquement, il semble tiré d'affaire mais, mentalement, il se laisse complètement aller et se pose le plus souvent en victime. "Je n'ai jamais eu de chance dans ma vie" avait-il dit à ma mère lors d'une visite. Que l'on ai manqué de chance durant son enfance, je veux bien l'admettre. En revanche, adulte, nous avons une bonne part de notre destinée entre les mains et ce, malgré les troubles laissés par l'enfance. Le bonheur, l'extase, la jouissance... sont en nous, encore faut-il les sentir, les écouter et les saisir.

En lisant le livre de Guy Corneau "Victime des autres, bourreau de soi-même" (aux éditions Robert Laffont) j'ai compris qu'avec la maladie, j'avais franchi bon nombre d'étapes psychiques sans encombres et de façon inconsciente. L'auteur propose en premier exercice d'entrer en contact avec notre propre présence : il s'agit de "savourer la vie qui coule (en nous) : le coeur qui bat, la respiration qui va, les pensées qui circulent, [] les sensations de confort et d'inconfort..." Pourquoi nous propose-t-il cela ? Simplement parce que nous cherchons paradoxalement notre bien-être ailleurs. Pour y parvenir nous nous appuyons par exemple sur "la consommation de services tels que la femme de ménage, nourrice pour les enfants, voiture confortable, bon logis etc. [] La vie devient en quelques années un paquet de choses à gérer. Une somme impressionnante de détails nous assaille constamment, détails auxquels il faut veiller de toute urgence et parmi lesquels nous n'arrivons plus à établir de priorités. [] Le rythme devient trop exigent : de plus en plus de gens à voir, de choses à faire, de projets à réaliser. Pour compenser, alcool, sexe, tabac, chocolat, bouffe, télévision, drogue, médicaments vont venir répondre à notre désarroi du moment et ce de plus en plus fréquemment. Nous savons que nous sommes en train de nous enfoncer dans un problème dont il nous faudra sortir un jour, mais c'est plus fort que nous. Nous avons bien préparé le terrain pour laisser croître en nous le sentiment d'être victime de la situation. Car après tout, nous faisons véritablement de notre mieux, mais en vain, il y a toujours quelque chose qui va de travers". Il est donc temps de reprendre contact avec soi-même et d'observer la formidable machine que nous avons mis en place pour faire échec à notre bonheur. L'auteur nous ouvre les portes de nous-même, il nous fait visiter notre personnalité, ses pièges (l'orgueil et ses conséquences, la hiérarchie des peurs, les rejets, les envies destructrices, la honte et la peine), les besoins de compensations... Il termine par les élans créateurs, ceux qui viennent du plus profond de nous et qui seuls sont générateurs de bonheur. Qu'ils se concrétisent par une expression individuelle ou de groupe, ils permettent la création, la transformation ou le changement et apportent en retour le goût du sublime.

Lorsque je suis tombé malade, j'ai volontairement fait abstraction des détails quotidiens, les laissant à Françoise, pour me libérer l'esprit et faire face au traitement. Et du temps, avec les chimiothérapies qui me laissaient sur le flanc, j'en ai pris. J'ai commencé à écrire afin de structurer mes pensées et ne pas me laisser submerger par les émotions. Inconsciemment, je ne voulais pas m'enfoncer dans le néant. Très vite, j'ai pensé qu'il fallait extérioriser mes peurs et les communiquer afin d'éviter de m'y enfermer. Pour cela, j'ai commencé une correspondance par e-mail avec vous. Aujourd'hui, à en juger la taille du site web, je peux affirmer que c'était bien un élan créateur. En retour, et pour briser ma solitude, vous m'avez donné de vos nouvelles : un véritable bonheur. A plusieurs reprises mes enfants me l'ont fait remarquer : "Papa, pourquoi souris-tu lorsque tu écris ou lis tes e-mails ?" C'est vrai que je souris en vous lisant. Vos nouvelles sont du bonheur, je vous le dis, à lire et à relire à volonté. Si c'est ça la chance, alors laissons nos élans créateurs s'exprimer !

Une fête bien méritée

Comme je l'ai écris plus haut, j'avais envie d'une fête pour vous remercier de votre soutien. Durant ces trois années, vous avez rebondi sur mes craintes, mes peurs et votre nombre, sans cesse croissant à rejoindre l'E-fanclub, m'a procuré un flux continu de chaleur, de tendresse, de bien-être. De plus, je devais rendre hommage à Françoise. Elle a joué un rôle fondamental dans cette épreuve, en veillant au bon déroulement des opérations. Si nous devions inverser les rôles, je ne suis pas sûr de faire aussi bien, j'aurais sans doute rendu mon tablier. Et puis, notre couple a manqué des rendez-vous importants durant ces longs mois d'indisponibilité. Nous avons donc fêté nos 40 ans, Françoise et moi, nos 15 ans de mariage et mes 3 ans de nouvelle vie, les 10 et 11 juillet à Sonchamp. Tout le monde était déguisé style 1950-1969 (j'avais préparé un dossier sur Internet avec quelques idées vestimentaires). Le choix de cette période était hautement symbolique. Il caractérise "l'après guerre", le retour à la vie et la consommation qui succède aux privations. Le parallèle avec mon combat m'avait semblé intéressant.

Nous étions 115. Certains ne connaissaient personne. Pour y remédier, j'avais confectionné un trombinoscope avec les photos de chacun. Il a permis de rappeler "qui est qui ", de caractériser les différents groupes tels que : la famille, les copains d'enfance, les amis de Bullion, les amis de vacances... de comprendre à quel moment ces groupes ou ces personnes étaient entrés dans notre histoire. Bref, une somme de détails pour faciliter les présentations et amorcer des conversations.

J'avais envie de tirer la photo de mon E-fanclub. Voici chose faite. J'avais envie de me faire pardonner de m'être refusé, faute de défenses immunitaires, aux tendres embrassades de mes chères admiratrices, durant tous ces mois. Sous le regard envieux des garçons, l'occasion de rattraper toutes ces occasions manquées a été donnée : ce fut un moment sublime, aussi merveilleux qu'unique. Si, si ! les photos du " bisou " existent pour en témoigner (voir album de photos complet ici). Pour le reste, j'avais fait appel à votre créativité : un diaporama retraçant nos parcours respectifs, à Françoise et à moi, à la façon du générique de la série télévisée "Amicalement vôtre", deux vidéos tournées par les enfants, l'une en hommage à Françoise ("la Fanfan Fofo"), l'autre mettant en scène les moments forts de la randonnée canoë de l'année passée. Nous avons dansé de bons rocks, des valses, des paso dobles, tangos... Raymond, notre disk jockey, avait sorti tous ses vieux disques.

Alain le philosophe disait: "il faut vouloir être heureux et y mettre du sien". J'ai écouté et suivi mes élans créateurs. Nous avons passé un excellent moment ensemble, un véritable bonheur. Quelle belle récompense !

Un retard compréhensible

Michel n'a pas pu se libérer pour la fête. Nous avons beaucoup pensé à lui. Lorsque j'ai appelé pour qu'il m'emmène à ma consultation du 17 juin à l'hôpital Saint-Louis, il m'a appris son cancer du foie et s'est effondré en larmes. Depuis quelques mois déjà, je l'avais trouvé amaigri, le teint gris. En décembre dernier, lorsqu'il m'emmenait avec son taxi pour le retrait de mon cathéter, il m'avait avoué qu'il produisait du fer en excès et qu'on lui pratiquait des saignées régulières. Il était inquiet car il mangeait avec bon appétit, mais perdait du poids. Il ne se souvenait plus du nom de sa maladie. Une hémocromatose, je l'ai lu par la suite dans le dictionnaire médical. A ce moment, je ne me doutais pas qu'elle puisse dégénérer aussi vite en cancer. Lui, un grand et solide gaillard quinquagénaire, qui avait assuré jusque là tous mes transports, une cinquantaine. Il avait assumé mes crises de vomissements, dans Paris et sur l'autoroute A6, adapté mes horaires de retour (le plus souvent imprévisibles) aux siens, trouvé un autre taxi lorsqu'il ne pouvait pas se rendre disponible... Bref, j'étais loin d'imaginer pareille situation en raccrochant le téléphone. Il avait insisté pour conserver notre rendez-vous du 17. A l'heure dite, il n'était pas là. C'était son premier retard : une heure. Savoir qu'il a un cancer l'avait complètement déstabilisé, au point qu'il se trouvait encore au lit lorsque j'avais appelé et qu'il ne se souvenait plus exactement de l'heure de notre rendez-vous. En chemin, il m'a parlé de son hospitalisation à Cochin, les jours qui précèdaient notre fête, pour des examens complémentaires. Il sait déjà qu'une greffe de foie lui sera nécessaire. L'attente d'un donneur est de quatre mois. Le pronostic est réservé. J'étais abattu, moi qui allais à l'hôpital pour une simple consultation de routine.

Point sur ma santé

Le docteur Emmanuel Raffoux m'a reçu comme convenu le jeudi 17 juin, à l'hôpital Saint-Louis pour ma consultation. Il m'a trouvé une mine éclatante. L'échographie cardiaque reste maintenue mais il juge inutile le test à l'effort, aux vues de mes performances sportives. Mon nouveau rendez-vous avec lui sera dans six mois, le 6 janvier exactement. Mes prises de sang mensuelles passent à une fréquence de deux mois. Je sors de son cabinet avec une numération détaillée et une sérologie à effectuer sur place. Elles révèleront, entre autres, que mes lymphocytes B sont revenus à un niveau suffisant (je n'avais que 10% de la normale en décembre dernier) et qu'un manque de couverture vis-à-vis de l'hépatite B oblige à se poser la question de la re-vaccination. L'équation est simple mais le choix difficile : d'un côté, la re-vaccination m'expose à des risques de sclérose en plaques, de l'autre, ne rien faire, m'expose aux risques de contracter l'hépatite B pendant les futures transfusions sanguines (en cas de rechute seulement de ma maladie). La balle est dans mon camp. Je me donne les vacances pour réfléchir.

Convocation à la sécu

Les vacances approchent. Plus courtes que celles des deux dernières années (six semaines), plus longues que celles d'il y a trois ans (quatre jours : malade, je suis rentré de toute urgence, faute de défenses immunitaires), elles sont tout de même de quatre semaines. Le planning s'annonce chargé : quelques jours chez mon frère à Castres, quelques jours à Carcassonne pour l'anniversaire surprise de Christian, quelques jours chez mon beau-frère à Cannes, puis randonnée canoë en Bourgogne, avec la même équipe que l'an passé. Puis, une semaine à ne rien faire, histoire de se reposer avant la rentrée des classes. C'est dans cette ambiance que je reçois la veille du départ, une convocation de la Sécurité sociale à une visite médicale. Dans le courrier, la date est déjà fixée, malheureusement lorsque je serai entre Carcassonne et Cannes. Un détour sur Paris me semble excessif, aussi ai-je préféré appeler pour reporter notre rendez-vous. J'apprends que ce n'est pas possible et qu'il me faut une autorisation de leur part pour partir en vacances. Je n'en avais pas eu besoin les années précédentes. Inutile de me mettre "la rate au court-bouillon", je n'en mourrais pas. Au pire, ils ne me paieront pas mes indemnités journalières jusqu'à la résolution du problème. Place aux vacances et rendez-vous en septembre.

En bref...

Marie-Claude H: ce fut un véritable bonheur de se retrouver pour ton départ en retraite. Durant cet événement, j'ai appris beaucoup de choses sur toi. J'aime bien ton petit côté "naturo", crudités (en particulier lentilles germées)... Je connaissais ton attirance pour l'île de Noirmoutier mais je ne connaissais pas tes penchants pour l'aquarelle. Le hasard a voulu que je fasse mouche avec un livre d'aquarelles sur la région que tu adores.

Carole F: merci d'avoir joué le rôle de la "blonde candide" au cours de notre week-end littéraire du 17 juillet. Toi qui est plutôt brune et éclairée en publication médicale. Merci pour tes conseils précieux. Je travaille à tes corrections et m'impatiente déjà pour la suite du projet de livre.

Eric et Stéphanie J et toute la famille : La mauvaise nouvelle au sujet de Gaëtan est bien triste et nous sommes de tout coeur avec vous !

Voilà je rentre de vacances. Elles se sont déroulées comme prévues. Des vacances riches en rencontres mais aussi en activités. La rentrée des classes approche. Fanny rentre en 6ème, Théo en CE2. Françoise prépare sa rentrée "peinture" et pour ma part je reprends le travail dès demain. Je profite de ces quelques instants de calme pour vous glisser ce mot sur internet.

Bonne rentrée à tous et à très bientôt,

Régis

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