Goutte à goutte, la vie revient

Après un mois de mai difficile, arrive le mois de juin. La nature resplendit, la canicule persiste, la fin de l'année scolaire approche. Loin des effets secondaires de la dernière chimiothérapie, mon objectif principal est : le plaisir de la vie. Le plaisir à partager en famille, entre amis, proche de la nature, à la fraîcheur des sous-bois ou près des étangs, et ce, jusque tard dans la nuit. Que du positif en somme, jusqu'à m'en étourdir, écartant systématiquement le superflu, l'inutile, les pensées noires, les mauvaises nouvelles. J'ai sauté de mon lit, où il y a peu encore, je regardais ma maladie par le nombril. J'ai ouvert la porte de la maison pour vivre tous les moments exquis à pleines dents.

Pour clore mai et célébrer juin, rien de mieux que l'Ascension. Connaissez-vous le dicton, à l'Ascension tous à Bullion ? Tout commence comme le film de Jacques Tati dans "jour de fête". On suspend les banderoles, les forains arrivent avec leur chenille, leurs autos tamponneuses et autres attractions. On s'affaire aux préparatifs. On imagine le facteur effectuant sa tournée dans le tout Bullion en annonçant l'événement. Les enfants n'y tenant plus, sont déjà partis porte-monnaie en poche, dépenser leurs économies qu'ils gèrent depuis peu. Un tour de manège, un tour de chenille pour se faire une frousse du diable, un bref essai au casino où Théo a gagné un dauphin en porcelaine, son animal fétiche. Tous deux ont bien observé la consigne : ne ramener ni poisson rouge ni autre animal. Je me souviens encore de notre "ah" contenu lorsque l'année passée, de retour à la maison, Théo brandit sous nos yeux un sac contenant l'objet de notre crispation. Un poisson rouge accompagné d'un "regarde maman ce que j'ai gagné !" Depuis, le sac s'est transformé en aquarium et Câlin, c'est son nom, a quatre camarades, des plantes, un pont de pierre, un filtre biologique, un Ph-mètre...

Le lendemain, à la sortie de l'école, d'autres jeux attendent les enfants sur le stade : booling, jeux de ballon, jeux d'eau, cerceaux... Gagner à ces jeux permet de gagner des tickets gratuits pour la fête foraine. Difficile de freiner leurs ardeurs, car ils sont tous déterminés à rafler le maximum de points sur leur passage. Au bout d'une heure acharnée, Fanny a remporté 5 tickets. Théo, qui avait malheureusement un rendez-vous chez l'ophtalmo, n'a pas pu y participer. Mais contre toute attente et sans que j'intervienne, Fanny a partagé ses tickets au retour de celui-ci. Et pour le dernier ticket, ils se sont arrangés pour effectuer un tour commun aux autos tamponneuses. Une fois de plus, je reste admiratif devant l'affirmation de leur autonomie.

Il y a un feu d'artifice ce soir. Nos voisins, Thérèse et Douglas viendront nous chercher. Fanny et Théo sont déjà très excités. Pourtant, l'horloge n'affiche que 20 heures et ils devront patienter jusqu'à 22 heures 45. Peu habitués à veiller jusqu'à cette heure tardive, ils ont tenu bon finalement et le spectacle les a enchantés ; le retour par le bois à la lampe de poche également. Quoi de plus grisant que de se faire peur en s'affichant des têtes de monstres avec la lampe braquée sous le visage ou encore d'écouter les bruits suspects que produit la nature !

Durant ces quatre jours, Patrick et Françoise ont mis sur pieds une exposition de peinture sur le thème "les peintres au village". Cette exposition a regroupé huit peintres et un sculpteur bullionais dans la salle des mariages de la mairie. Françoise a été enthousiasmée par la fréquentation et la qualité des visiteurs. Près de 350, un record par rapport à l'année passée. Après le pot de clôture avec le maire, le démontage s'est fait entre deux grosses averses d'orage. Le long week-end de l'Ascension s'achève.

Au travail, l'ambiance sent encore les vacances de mai. Depuis mon retour le 27 mai, tout est calme. Je profite de cette période paisible pour valider, à l'aide de pages web statiques, le concept de la gestion du matériel auprès de mes premiers utilisateurs. Puis je continue à développer. Déjà 1700 lignes de code ! Je suis impressionné de la rapidité de mise en oeuvre. Jeudi 5 juin, je déjeune à l'extérieur avec Brigitte une amie de longue date. Nous avons travaillé ensemble au début des années 90. Cela faisait presque 3 ans que nous ne nous étions pas rencontrés. Elle fut très affectée par ma maladie. En même temps, elle a subi le suicide d'un autre de ses amis. Un suicide qu'elle n'a pas vu venir alors qu'elle le voyait quotidiennement. Aujourd'hui, elle se sent toujours coupable. Doublement touchée, elle a eu l'impression que tout s'effondrait autour d'elle. Déjà, peu enclin à l'écriture, ces deux événements ne l'ont pas aidée à trouver les mots justes (y-en a-t-il vraiment ?) pour notre correspondance. Craignant le pire pour moi, mais aussi pour se protéger elle-même, elle a préféré s'abstenir et fuir en avant. Un comportement que j'avais déjà identifié chez elle auparavant. Que fuyait-elle à l'époque lorsque nous travaillions sur des projets d'automatisation chez Renault, pour le port du Havre ou encore pour la pétrochimie ? Je crois que je ne l'ai jamais véritablement su. En tout cas, on se complétait bien jusqu'à ce que la première guerre du Golfe vienne s'en mêler. La petite entreprise dans laquelle nous travaillions a mis la clé sous la porte. Reprendre ensemble l'entreprise nous a tenaillé les tripes, mais le montant des investissements, nous en a vite dissuadés. Depuis nous nous voyons de temps à autre. Ce fut un plaisir de prendre des nouvelles de nos familles et d'échanger nos projets respectifs. Merci à toi Brigitte pour cet excellent moment !

Le samedi 7 juin, Fanny fête ses dix ans. En compagnie de huit copines et Théo, ils se sont bien dépensés dans la forêt à proximité. Je leur ai concocté un jeu de piste. Le but, retrouver le trésor de Rackham le Rouge. Pour mener à bien cette épreuve, il a fallu que je fasse preuve d'ingéniosité et de rapidité pour dresser tous les pièges. J'ai couru sans m'en rendre compte, preuve du retour de ma forme physique d'antan. Sur mes talons, je les entends encore, braillant à chaque indice découvert. Ils ont trouvé le trésor, une vieille boîte en fer remplie de bonbons que j'avais enterrée dans la carrière de sable de Bonnelles.

Chloé, Théo, Laura, Lucille, Fanny, Marion, Marine, Manon et Sabrina.

Dimanche, Fanny fête son anniversaire en compagnie de papy, mamie, tata Yvonne et tonton Alain. Sangria, cake au surimi, crevettes, saumon grillé et riz. Je craque pour trois crevettes (les fruits de mer et de mollusques m'étant toujours déconseillés). J'ai sorti pour l'occasion un Moulin à vent, Beaujolais 1995. Nous avons tous trouvé exquis avec la salade et le fromage. Le lendemain, jour de la Pentecôte, nous sommes allés au bord de l'étang de Clairefontaine pour un pique-nique en compagnie de 6 autres familles de Bullion. Nous en rêvions depuis quelques temps. Nous nous sommes retrouvés à 32 pour cette journée champêtre. Le temps fut excellent au bord de l'eau.

Mardi, au travail, j'ai appris le décès de Joseph Legal. Il est mort la veille d'un cancer de l'oesophage. C'était un ancien de la radiothérapie qui travaillait aux expéditions. A 40 ans au plus, il semble s'être laissé emporter dès qu'il a appris sa maladie quelques mois plus tôt. Mon oncle aussi se laisse aller, il m'inquiète. Pourquoi certains se laissent-ils aller alors que d'autres se battent ? Jean, membre de mon e-fanclub, vient de se faire opérer d'un cancer au colon droit. Une chance, les autres organes n'ont pas été touchés. L'origine est génétique, tout comme son père encore vivant. Son moral est excellent, surtout qu'il vient d'apprendre qu'il sera rétabli pour la fin juillet et qu'il pourra aller en Sardaigne comme prévu. Sa prochaine consultation est fixée en septembre. Nous avons eu une longue conversation sur nos démons. Comme ils se ressemblent !

Le week-end suivant commence par la fête de l'école le vendredi soir avec dîner spectacle organisé par les enfants. Nous sommes 250 convives à admirer les prouesses de nos têtes blondes jusqu'à une heure du matin. Le lendemain, c'est la fête des Amis de Bullion avec exposition de peinture, animation avec danses folkloriques, chorale et défilé de vieilles autos... Ma voiture, une Renault Juvaquatre de 1952, n'ayant pas fonctionné depuis 3 ans a tout de même fait parti du défilé au milieu des Salmson, Amilcar, Citröen C4, Traction Avant, Talbot, Simca 8, Ford T et Tatra du club de Rambouillet.

Avez-vous retrouvé ma voiture ? Réponse : c'est la dernière photo.

Déjà bien chargée, la journée est entrecoupée de répétition de danse pour Fanny, de la photo du siècle (initiative du Parc de la Haute Vallée de Chevreuse qui vise à regrouper sur un cliché, les administrés de Bullion), du spectacle de danse de Fanny à Bonnelles, où je joue le soir le rôle du caméraman jusqu'à minuit. Pour clore en beauté cette journée, nous rejoignons Sylvie K.qui célébre son 36ème anniversaire. Nous nous sommes couchés à 3 heures. Le lendemain, jour de la fête des pères en compagnie de mes beaux-parents, la journée reste beaucoup plus calme. Fanny participe cependant à un spectacle de danse l'après midi à Angervillier. Durant la représentation, après une promenade à pieds dans les rues du village, je me suis endormi sur un banc, au frais, dans le parc de l'église. Fin du week-end.

Depuis le temps que je vous parle de Bullion, voici tous mes voisins. Oui je sais, difficile de les identifier.

Là c'est mieux, mais il en manque les dieux tiers... Pour les autres venez à Bullion.

Lundi, Théo passe sa ceinture jaune. En chemin, il m'a avoué son stress. Ce dernier avait commencé avec l'arrivée du formulaire qu'il a reçu quelques jours auparavant. Il dû trouver la signification du mot Judo, mentionner le nom de son fondateur, trouver les termes japonais de l'habillement, du salut, des projections, des brises chutes, du combat d'exercice... Heureusement, il y avait un lexique des mots japonais. L'exercice me semble bien difficile pour lui qui n'est qu'au CP et qui ne sait lire que depuis quelques mois. Je n'ai jamais appris le Judo mais grâce au lexique et à Internet, je l'ai aidé et nous nous sommes bien débrouillés. J'ai compris plus tard que ce formulaire ne servait pas uniquement à l'examen de la ceinture jaune mais aussi aux autres couleurs. L'examen est très formel : combat d'exercice, démonstrations des brises chutes suivies de quelques prises et pour terminer quelques questions orales basées sur le formulaire.

Sacha, Hippolyte, Mathieu,Théo, Arnaud, Pierre-Jean et Lola.

La fatigue accumulée durant ces derniers jours s'installe petit à petit, mais je dispose encore de réserves suffisantes pour participer à la fête du service avec mes collègues. En ce mardi, nous avons rendez-vous à 10 heures à la ferme du Manet non loin de Buc. Divisés en huit équipes, le programme de la journée est une course au trésor, histoire de passer un excellent moment ensemble en dehors du travail quotidien. Une fois la glace brisée, je m'amuse à constater que pour les petits comme pour les grands, une course au trésor suscite toujours autant d'enthousiasme. L'ambiance encore récente de l'anniversaire de Fanny resurgit ici de la même façon parmi les adultes. Après une promenade dans la forêt passée à rechercher un grand nombre d'indices tels que champignon, gendarme, animaux rampants, chalumeau... Nous concluons la matinée par un buffet et des grillades que nous dégustons à l'abri, une forte mais courte averse orageuse venant de s'abattre le temps du repas. L'après midi est beaucoup plus technique avec ball-trap, tir à l'arc, un jeu "araignée" qui consiste à se faufiler dans une toile sans effleurer les brins, un tournoi de palet, un jeu d'élastique dont les participants retenus par de gros élastiques doivent tenter de courir sur un épais matelas gonflable et déposer le plus loin possible un objet témoin. Sur le plan culturel, il y a eu un dessin humoristique et une poésie sur l'amour avec quelques mots imposés tels que technologie, productivité, ferme et spaghetti. Qui allait gagner durant cette journée ? De justesse, juste à un point des seconds, nous avons gagné. Je remercie toute l'équipe pour cette victoire. Pour mémoire je vous laisse ici la poésie :

Parler d'amour, voici un sujet espéré.
Belle, ni fille de ferme, ni spaghetti,
Tu te donnes à moi, adieu technologie.
Que vive la vie et la re-productivité !

Sylvie J, en plus de cette victoire, j'en profite aussi pour te féliciter. Toi que j'ai vu décliner durant ces deux années pour un problème de coussinet défectueux au niveau de la mâchoire, je n'imaginais pas que l'on puisse souffrir à ce point. Par bonheur, il ne restait qu'une unique solution, une opération chirurgicale très risquée, mais qui a porté ses fruits. Je ne comptais pas te revoir de sitôt. Quelle fut ma surprise, te revoilà parmi nous, en forme ! En somme, pour toi comme pour moi, c'est une double victoire.

Le lendemain, mercredi 18 juin, les enfants vont dans le cadre des travaux manuels à la ferme de Loireux pour cueillir des fraises. Mais là, je n'en peux plus et j'ai décidé de rester à la maison pour me reposer. J'ai travaillé jeudi et depuis, je me réserve de longues périodes de repos : vendredi, samedi, puis lundi. Même si, nous sommes sortis chez nos voisins Anne-France et Patrick le vendredi soir ou lorsque nous avons reçu Eric et Carole à la maison dimanche pour ébaucher un projet de randonnée en canoë cet été, j'ai mis un terme au rythme endiablé de juin. Du moins je le pensais.

Le prochain traitement approche, il est fixé jeudi 26 et vendredi 27 juin. Mais avant, il reste la chronique mensuelle à écrire, la contre visite de la Juvaquatre, le lundi, les freins s'étant montrés paresseux lors du dernier contrôle technique, l'anniversaire d'Anne que nous fêterons mardi soir en même temps que nos 15 ans de mariage et ceux de Stéphanie et Eric (on s'est marié le même jour), et pour terminer, le départ d'Annie et Hervé pour la côte d'Azur. Tonton Jacques passe mercredi. Ma chronique attendra donc quelques jours de plus.

Je n'ai pas vu passer juin. J'ai oublié ma maladie. Goutte à goutte, la vie revient