6 mois déjà ou seulement

En ce début de mois d'Août (le 10 exactement), il est temps d'établir un bilan après 6 mois de traitement. 6 mois... Il y a un an j'aurais dit <<déjà>> car pris dans le feu de la vie (le travail, les enfants, la maison...) le temps me paraîssait de plus en plus court. Avec la maladie tout semble différent, il me reste encore 22 mois de traitement : le temps semble s'être arrêté ou presque. Les valeurs simples comme la subsistance ou la vie reprennent du service. Les autres, celles de notre monde matérialiste, prennent une importance moindre. Se battre encore et toujours, garder le moral, osciller entre l'envie de comprendre et la peur de découvrir, s'occuper et prendre la vie comme elle vient : tels sont mes principales activités. Et puis, il y a Françoise...

1- Le moral comme chacun peut s'en douter est une composante primordiale pour la guérision de cette maladie. Garder le moral consiste donc à positiver, à maintenir son enthousiasme et à se battre. Maintenir le moral à un niveau haut en permanence n'est pas tout le temps évident. Son évolution serait plutôt cyclique et semble dépendre de la période entre 2 traitements. Cette période peut être découpée en 4 phases : (1) injection et assimilation des produits de chimiothérapie, (2) réaction du corps vis à vis des produits (chute du nombre des globules et plaquettes), (3) reconstruction des globules et plaquettes et (4) repos avant la prochaine période.

Les phases 1, 2 et une partie de la phase 3 sont propices à la baisse du moral : grande fatigue, nausées. De plus, le corps devient vulnérable aux infections pendant la phase 2 et 3 : les mycoses buccales, les aphtes, les crises d'herpès, la toux...en profitent pour se développer et peuvent prendre des proportions qui vous pourrissent la vie faute de défenses immunitaires. Les visites dans ces conditions tournent à la paranoïa. Les effets secondaires comme la perte des cheveux ou la perte de poids, ont aussi une contribution significative sur la baisse du moral. Inversement la repousse des cheveux que l'on souhaiterait définitive et qui intervient environ 4 mois après une chute totale est accueillies avec bonheur. La reprise de poids est aussi un vrai bonheur. Pour terminer la phase 4 a une influence très positive sur le moral car tout rentre dans l'ordre et la vie redevient quasi normale.

La météorologie a son importance. L'entourage humain l'est encore plus. Si j'ai constaté qu'au début il fallait être très fort psychologiquement pour annoncer cette mauvaise nouvelle à mes proches. L'entourage a eu par la suite et a toujours un rôle décisif. Chaque visite, chaque message m'a procuré et continue à me procurer un bien fou en me faisant oublier mon quotidien ne serait-ce qu'un instant. Internet est devenu un contributeur majeur pour mon moral. Même si mon entourage n'est pas complètement sur Internet, je constate qu'il se structure et s'organise afin que nul ne soit laissé à l'écart : photocopie de mes messages, coups de téléphone... Chaque message reçu est lu à mon rythme et c'est vraiment un avantage. Je retourne une réponse générale pour éviter les redites, en général lorsque mon état physique le permet. Certes cela peut paraître très impersonnel, mais sachez que de temps en temps je fais l'effort de répondre personnellement. Patience si ce n'est pas votre cas votre tour viendra. Mon entourage Internet grossissant, je l'ai nommé mon e-fanclub. De qui se compose-t-il? Pour en savoir plus cliquez ici.

2- Osciller entre l'envie de comprendre... et la peur de découvrir
Sans doute parce que je suis très curieux de nature, la première chose est d'essayer d'en savoir plus : recherches documentaires, discussions avec des médecins, recoupements et synthèses. Partant du postulat que chaque problème est la conséquence d'une ou plusieurs causes, il suffit d'agir sur les causes pour que le problème disparaîsse. 6 Sigma? peut-être, mais c'est là que le malaise s'installe. Si mon problème semble clairement identifié les causes précises le sont beaucoup moins. En théorie, il s'agit d'une combinaison de causes ou plus précisément de prédispositions et de déclencheurs de la maladie, rien de plus.

Mais le mal à l'aise s'accroît !

Il me semble avoir déjà vu cela en développement logiciel. Prenons un logiciel. Un bug a été introduit involontairement et il apparaît de temps en temps sans pour autant que la cause soit connue. La pression psychologique et les délais imposés par les clients sont tels que le développeur chargé de faire la correction, a trouvé une parade mais sans pouvoir l'expliquer : le bug a disparu mais on ne sait pas réellement pourquoi. Du coup un certain nombre de questions viennent à se poser : le bug est-il complètement éradiqué? la modification est-elle durable? en cas de modification ultérieure le bug réapparaîtra-t-il?

Revenons au traitement. Il existe. Il semble pourtant avoir un bon taux de réussite (80% sans rechute à 4 ans).Quoique 80 ne soit pas égal à 100 et que 4 ans ne semble pas l'éternité. D'une durée de 28 mois, il ne sort tout de même pas d'un chapeau par magie. Non ! il est régi par un protocole (LALA94). Certains appeleraient cela un plan d'expérience, un "design of experiment" ou un "DOE". Le principe est simple : puisque les causes ne sont pas clairement identifiées, on va imaginer les plus importantes et agir dessus. Hic ! Les produits à notre disposition ne permettent pas aujourd'hui de cibler une cause spécifique. Le jour où l'on verra de tels produits, nous aurons fait un grand pas. Ce qu'on sait c'est qu'il y a des produits plus indiqués que d'autres pour une cause donnée. Donc d'année en année, de décennie en décennie, par tâtonnements successifs, le protocole s'est affiné successivement sur un échantillon représentatif de patients pour devenir ce qu'il est aujourd'hui. D'ailleurs les tâtonnements continuent puisque l'objet de LALA94 est de faire la démonstration, entre autre, que l'efficacité de l'Idarubicine est supérieure à la Daunorubicine.

Devant toutes ces incertitudes, ces tâtonnements, il est compréhensible que j'oscille entre le désir de savoir, de comprendre, et, la peur de découvrir. Lorsque la découverte est nette, positive (comme on aimerait qu'elle soit) et non discutable tout va bien. Mais ce cas reste rare comme vous pouvez le constater. Incertitudes, découvertes partielles multiplient davantage les questions, prolongent les reflexions. Alors comme il faut dans ce cas un moral d'acier et comme vous l'avez noté, cela n'est pas facile, il n'est pas rare que je mette ma curiosité au placard le temps de retrouver un moment plus favorable.

3- s'occuper et prendre la vie comme elle vient

C'est un point qui prend une nouvelle dimension. Lorsque la Vie vous fait face en menaçant de vous quitter, si petite soit la menace, votre amour-propre en prend un coup. Se sentir rejeté de la sorte n'est pas agréable et l'incompréhension est totale. Pourquoi? Pourquoi moi? Qu'ai-je fait pour mériter cela? Ce n'est pas juste ! La Vie en cette matière se montre très peu bavarde et reste intransigeante. D'abord il va falloir mettre de l'eau dans son vin, éviter de commettre l'irréparable afin d'éviter que la relation ne soit définitivement rompue. Puis comme pour assurer la transition vers un status encore inconnu, il va falloir mettre de l'ordre dans son esprit. Divorce ou pas, la transition risque d'être longue et l'issue incertaine. Les projets communs établis à long terme sont relégués au second plan voire même simplement abandonnés. Place au présent, le Présent avec un grand "P", celui que l'on a tendance à oublier lorsque tout va bien. De plus dans ces circonstances le temps semble s'être ralenti. Profiter de l'instant, s'occuper l'esprit, rien de mieux que de le laisser divaguer, boucler toujours sur les mêmes questions. Non ! laissons l'instant prendre sa réelle dimension.

Assis dans ma chaise longue au milieu du jardin, je prends plaisir à observer l'éclosion des fleurs, l'activité des oiseaux. La plus grande source de petits bonheurs est sans aucun doute la présence des enfants. Un calin fugitif, un mot écorché, l'emploi d'un mot inapproprié, une mimique évoquant grand-père ou grand-mère, un regard complice... sont reçus avec une telle délectation et fierté qu'ils me font oublier en un instant tous mes soucis. Souvent ils viennent me proposer de jouer aux dames, aux 1000 bornes ou à un autre jeu. C'est là que je les admire pour leur facilité de compréhension et leur vivacité d'esprit. Il m'arrive souvent d'utiliser des stratagèmes pour leur mener la vie dure et au final les laisser gagner. Fier d'avoir battu leur papa (qui est au demeurant le plus fort de tous les papas), ils repartent radieux et moi je reste là, heureux d'avoir passé un excellent moment avec eux.

Il y a aussi les proches, les voisins ou mon e-fanclub comme je l'ai détaillé plus haut et qui joue un rôle très important. La lecture prend une place prédominante en particulier les ouvrages sur les mers du sud qui me tiennent tant à coeur : Antoine, Daniel Defoë, Bernard Moitessier, Jack London sont mes auteurs principaux.

4- Et puis il y a Françoise...

Et puis il y a Françoise ma femme qui a joué un rôle fondamental dans cette épreuve. En fait j'ai souvent une pensée pour ceux qui dans la maladie se retrouvent seuls à se battre. A ceux-là je tire mon chapeau car vous pouvez vous en douter le combat n'est pas deux fois plus difficile mais l'est d'un rapport dix ou cent. J'ai donc une immense chance : Françoise est là ! Elle veille au bon déroulement des opérations. Au début de ma maladie j'ai longtemps cru que nos relations allaient sérieusement se dégrader car je suis un être de très mauvaise humeur lorsque je suis malade. J'ai horreur d'être malade (qui aime ça d'ailleurs?). Je reporte toute ma hargne sur ceux qui viennent s'enquérir de mes nouvelles. Il n'en a rien été cette fois. La bête féroce devait être si malade qu'elle n'avait pas le choix que de se laisser approcher.

Françoise assume tout : elle se met en quatre pour trouver des idées de menus et de les préparer. Je vous assure que c'est un vrai casse tête peu glorieux lorsque le patient en question a des nausées, qu'il n'a pas faim, qu'il vômit aussitôt ce qu'il vient de manger ou simplement parce qu'il est en déficit de globules certains ingrédients lui sont déconseillés. Elle gère des tâches administratives (principalement la sécurité sociale qui semble manquer de transparence en matière d'indemnités journalières), assure la communication quotidienne sur mon état de santé auprès des voisins. Cette tâche est très importante et demande beaucoup de force de caractère. En effet, lorsque je rencontre quelqu'un dans la rue, il m'est agréable de prendre de ses nouvelles de discuter de tout et de rien, mais il m'est souvent pénible de ressasser mes problèmes surtout si c'est la 5ème ou 6ème que je rencontre. J'aimerai tant que l'on parle d'autres choses.

Françoise aborde chaque nouvelle étape avec humeur égale. Même si son moral n'est pas toujours au beau fixe (normal il est lié au mien), elle essaie de faire en sorte que tout se passe bien.

Si nous devions inverser les rôles je ne suis pas sûr de faire aussi bien. Certes je suis patient mais il y a des moments où j'aurais sans doute rendu mon tablier. Donc j'ai vraiment de la chance d'avoir une femme pareille !

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Dernière mise à jour : 4 février 2002